Le Lacma, musée symbole d’une Los Angeles sans cesse en … – Le Monde

Dans cette ville encore jeune qu’est Los Angeles, l’obsolescence s’annonce parfois sans crier gare. Soixante ans à peine après l’inauguration du lieu, le Los Angeles County Museum of Art (Lacma), premier musée de la ville par la richesse de ses collections (près de 150 000 œuvres de toutes les périodes et tous les continents), a été jugé bon pour la casse. Le complexe, conçu dans les années 1960 par l’architecte William Pereira (1909-1985), constitué de trois élégants pavés couleur sable, agencés autour d’un grand plan d’eau, a été rasé en 2020. L’annexe réalisée en 1986 par l’agence Hardy Holzman Pfeiffer, qui s’était insérée en plein milieu, a subi le même sort.
A la place se dresse un nouvel édifice en construction, qui devrait être livré avant la fin de l’année 2024. Nous sommes en lisière de Wilshire Boulevard, artère mythique de la ville qui s’étire d’est en ouest sur 25 kilomètres, de Downtown à l’océan Pacifique, sur le Miracle Mile, cette portion où s’agrège, autour du Lacma, tout un ensemble d’institutions culturelles (une annexe du Museum d’histoire naturelle, le Musée de l’automobile, le Musée des Oscars…).
Table rase
Conçu par le célèbre architecte suisse Peter Zumthor, l’ouvrage a vocation à devenir le navire amiral du Lacma. Comme c’est l’usage aux Etats-Unis, il prendra le nom de son principal donateur, le producteur de musique et collectionneur David Geffen. En attendant, le musée concentre son activité dans le Broad, le musée d’art contemporain (2008), et le Resnick Pavilion (2010), les deux annexes les plus récentes du Lacma, construites sur le même site par Renzo Piano – les seules à avoir échappé à la démolition.
La Cité des anges, que l’on appelle aussi « capitale de l’oubli », s’est construite ainsi, sur le principe de la table rase. Par quel autre miracle un village colonial espagnol, fondé en 1781, aurait-il pu devenir en moins de deux siècles cette incroyable mégapole ? Si un consensus a fini par s’établir sur la valeur de certains chefs-d’œuvre, de certaines maisons d’architecte qui ont contribué, au XXe siècle, à forger son mythe, la notion de patrimoine reste une insulte à l’élan vers l’avenir qui continue de l’animer – ainsi qu’à la propriété privée, valeur suprême aux Etats-Unis.
Le propriétaire du Lacma, c’est le comté de Los Angeles, qui a, en l’occurrence, suivi l’avis du directeur de l’institution culturelle, Michael Govan : détruire et reconstruire. L’homme nous reçoit au dernier étage de la tour 5 900 Wilshire, où les bureaux du musée ont été déplacés le temps des travaux, nous entraîne d’emblée jusqu’à la baie vitrée d’où il contemple chaque jour l’avancée du chantier, trente étages plus bas. Débit de mitraillette, il dégaine : l’option de la restauration a été discutée, mais écartée aussitôt. « Le musée avait tellement de fuites qu’on l’avait surnommé “Leakma” [leak signifiant “fuite”] ! » Une réhabilitation aurait coûté 300 millions de dollars [273 millions d’euros]… Jamais je n’aurais réussi à lever une telle somme. » Un bâtiment nouveau, signé d’un grand architecte qui plus est, est plus payant politiquement qu’une rénovation de l’ancien, même s’il doit coûter, comme celui de Zumthor, plus de deux fois plus cher. La démolition, en outre, était déjà dans les esprits : à l’aube des années 2000, un concours avait été lancé pour réhabiliter le vieux complexe du Lacma, et le projet lauréat (jamais réalisé), celui de l’agence néerlandaise OMA, de l’architecte Rem Koolhaas, préconisait… d’en raser les trois quarts.
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