Culture et Société

«Louis XIV étranger»: au musée national de l’histoire de l … – Le Figaro


Le musée de l’Immigration faisait récemment l’objet d’une campagne publicitaire présentant Louis XIV en étranger. La visite reste malheureusement fidèle à l’ADN «engagé» du musée, au mépris de tout respect pour la complexité de l’histoire.

Cet article est extrait du Figaro Histoire «Quand l’Europe découvrait le monde». Retrouvez dans ce numéro un dossier spécial sur l’épopée des grandes découvertes.

Quand l’Europe découvrait le monde Figaro Histoire

L’art déco vieillit bien, et le palais de la Porte-Dorée reste splendide, avec, derrière ses arcades, son impressionnant bas-relief (le plus grand du monde ?) et sa mythologie africaine et asiatique. Construit à l’orée du bois de Vincennes pour l’Exposition coloniale de 1931 afin d’y présenter les colonies françaises, et devenu ensuite le musée des Colonies, ce monument inspiré par la plus démodée des idéologies ne se démode pas : on ne peut en dire autant du Musée national de l’histoire de l’immigration qu’il abrite désormais.

Celui- ci avait été annoncé par Jacques Chirac dans son programme présidentiel de 2002 et décidé par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2004. Ciblant les « représentations de l’immigration et des immigrés, trop souvent négatives (…), porteuses d’attitudes discriminatoires, conscientes ou non », celui-ci avait alors appelé à « la modification en profondeur des attitudes ». La muséographie avait bien vite ruiné les espoirs de ses promoteurs, qui consistait essentiellement en l’exposition de couscoussiers ou de valises en carton, amassés pour susciter une vague mélancolie du déracinement.

Elle vient cependant d’être renouvelée, sur la base de travaux dirigés par Patrick Boucheron, polémique mais habile défenseur d’une histoire « mondiale » de la France, soumise aux perpétuelles (et bénéfiques) influences étrangères. Une campagne publicitaire en donnait un avant-goût déroutant, en vue de l’ouverture le 17 juin dernier : Louis XIV y était présenté comme représentatif de ces étrangers qui auraient « fait l’histoire de France ».

Sur place, dès les premiers pas, et au fil des présentations des objets historiques et d’une iconographie soignée, on note tout de même des progrès réalisés dans la rigueur et l’ambition. Mais, si elle s’est charpentée, la visite reste malheureusement fidèle à l’ADN « engagé » du musée, au mépris de tout respect pour la complexité de l’histoire.

La scénographie s’articule autour de onze dates et commence en 1685, avec la révocation de l’édit de Nantes et l’instauration du Code noir. Des événements politiques sans rapport avec le phénomène migratoire dont la France est le réceptacle depuis soixante ans, mais qui permettent, dès l’introduction, de stigmatiser l’intolérance passée de notre nation et de rappeler que certains de nos compatriotes furent alors condamnés, eux aussi, à devenir des « migrants » ; que les Africains furent en France, dès longtemps, victimes de discriminations.

La question de l’identité ignorée

Les contresens se poursuivent dans l’étape consacrée à la Révolution, période où l’émigration fut pourtant essentiellement politique et temporaire. Les « flambées xénophobes » de la fin du XIXe siècle sont abondamment documentées, et Dreyfus est à raison présenté comme un bouc émissaire, mais sans que soit mentionné un intéressant paradoxe : la France fit pendant des années une « affaire » de ce qui aurait été classé en quelques heures dans d’autres pays, et les Juifs d’Europe continuèrent à y émigrer en grand nombre, jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

La charge se poursuit : quand la Répu­blique encadre le séjour des étrangers en France (en 1917 en créant une carte d’identité spécifique, ou lors des décrets-lois du gouvernement Daladier en 1938), elle est bien sûr répressive. Mais elle est tout aussi suspecte lorsqu’elle naturalise, par exemple avec la loi du 10 août 1927, pour combler les besoins en main-d’œuvre ou pour faire des soldats. La France de l’entre-deux-guerres est stigmatisée pour sa tentation du repli, alors même qu’elle accueille en masse des étrangers d’origine européenne. Celle de Vichy est condamnée pour sa xénophobie et ses dénaturalisations. Celle de l’après-guerre est blâmée pour la cécité avec laquelle elle s’accroche à son empire colonial. Celle du général De Gaulle est survolée sous l’angle des encouragements donnés par le patronat à une immigration pourvoyeuse de main-d’œuvre à bon marché.


Le musée met sur le même plan l’im­migration intra-européenne de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle, et le flux massif postcolonial des dernières décennies

Luc-Antoine Lenoir

Même le regroupement familial (1978) ne peut être mis au crédit de la politique française, puisqu’il fut imposé par le Conseil d’État après une tentative de Valéry Giscard d’Estaing de revenir sur une mesure qu’il n’avait mise en œuvre, deux ans auparavant, qu’en complément à sa décision de 1974 de mettre fin à l’immigration qui avait prospéré depuis la décolo­nisation. Ne trouvent grâce aux yeux du musée que les associations d’aide et, étrangement, le parti communiste : ne sont évoqués ni la destruction au bulldozer d’un camp de Maliens à Vitry-sur-Seine par un maire communiste le 24 décembre 1980, ni l’appel à l’arrêt de toute immigration, légale ou clandestine, par son secrétaire général Georges Marchais en 1981.

Malgré ce réquisitoire général contre le chauvinisme français, le musée ignore la question centrale de l’identité. Celle-ci est balayée, par exemple, avec la mise en exergue d’une citation de Jules Guesde dans LeTemps en 1886 : « Nous ne sommes pas une race, nous sommes une nation qui s’est formée depuis dix-huit siècles par les alluvions successives que cent peuples divers ont laissées sur notre sol. » Une incantation qui permet de nier toute harmonie culturelle et ethnique de la France (le démographe Jacques Dupâquier a démontré dans son Histoire de la population française que l’immigration n’y a représenté, jusqu’à la fin du XIXe siècle, qu’un phénomène marginal), mais aussi toute différence d’adaptation entre les immigrés selon leur provenance. Le musée met ainsi sur le même plan l’im­migration intra-européenne de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle, et le flux massif postcolonial des dernières décennies. Les dates choisies ne sont finalement que le prétexte à tisser un lien imaginaire entre ces générations d’immigrés à travers les siècles.

On débat encore moins de la société multiculturelle qui résulte des flux récents. C’est par le truchement des nombreux portraits d’immigrés au fil de la visite que l’on doit s’en faire une idée : ouvriers méritants, écrivains, militants humanistes ou champions sportifs, dont les Bleus de 1998. Le procédé incite à l’amalgame avec les communautés qu’ils symbolisent. Une manœuvre bien naïve, et une pente dangereuse puisqu’on pourrait aussi bien leur associer d’autres figures moins positives.

Le parcours historique se consacre enfin au « temps présent » (sic) et dénonce paradoxalement la « racialisation » touchant les immigrés, à la fin d’une visite qui semble pourtant les avoir essentialisés au-delà de toute retenue.


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Aucun enseignement cohérent

De ce point de vue, le nouveau musée rate cruellement son propos. Pouvait-il en être autrement ? Les mouvements de population peuvent constituer un sujet historique. Mais même avec une certaine rigueur, cette approche transversale n’offre aucun enseignement cohérent. Et les motivations chiraquiennes des années 2000 semblent avoir pour le moins vieilli, à l’heure des émeutes ethniques, de la désintégration nationale et alors que l’assimi­lation n’est plus qu’un lointain souvenir, effacé par l’inquiétude d’une substitution démographique.

Un musée idéologique a-t-il un quelconque sens ? On se prend à rêver d’un établissement plus ambitieux, qui remettrait en scène le palais de la Porte-Dorée pour retracer l’histoire réelle des colonies et fournir enfin les bases nécessaires aux débats actuels. Un musée qui, sans être cocardier ni honteux, aborderait ce mouvement imbriqué dans l’histoire européenne, mais aussi son legs historique et politique. Et qui, pourquoi pas, évoquerait aussi les Français partis à l’étranger construire la « plus grande France », voire rendrait un intelligent hommage aux soldats morts dans les drames de la décolonisation.

Car il y a bien une page négligée de notre passé, qui n’est pas celle que l’on voudrait. La preuve s’en trouve au rez-de-chaussée du palais, dans sa salle des fêtes inutilisée, bien qu’elle soit la pièce principale du bâtiment. Celle-ci est ceinte d’une somptueuse fresque figurant des scènes allégoriques de l’empire colonial français. Aucun texte, aucune explication, alors qu’il s’agit assu­rément du chef-d’œuvre des lieux, d’une prouesse artistique en même temps que d’un témoignage direct de l’esprit du temps colonial. Tout juste un petit cartel à l’étage raille-t-il son « style académique », ses « clichés culturels » et pourfend une « invisibilisation de la réalité historique et de la violence de la colonisation ». Le décor monumental semble gêner. Il fut réalisé par Pierre-Henri Ducos de La Haille, prix de Rome 1922 ; ses 600 m² sont consacrés aux apports de la France à ses possessions : l’Art, la Paix, le Travail, le Commerce, l’Industrie, la Liberté, la Justice, la Science. Autant de rêves d’une époque, fussent-ils chimériques, qui mériteraient plus d’attention.

Au moment de sortir, on ne peut manquer l’aquarium tropical, au sous-sol, qui date lui aussi de l’Exposition coloniale et abrite quelque cinq cents espèces de poissons exotiques. Sans surprise, cette spectaculaire attraction fait le plein de visiteurs, bien plus nombreux ici que dans le parcours inspiré par Patrick Boucheron à l’étage. À ceux qui manipulent la mémoire, ils préfèrent manifestement ces animaux qui n’en ont aucune.

Musée national de l’histoire de l’immigration-Palais de la Porte-Dorée, 293, avenue Daumesnil, 75012 Paris. Rens. : palais-portedoree.fr


«Quand l’Europe découvrait le monde» , 132 pages, 9,90€, disponible en kiosque et sur le Figaro Store.



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Elodie Dumas

Bonjour, je suis Elodie Dumas, une rédactrice d'articles en ligne qui dévoile le monde à travers ses mots. Ma formation à l'École Centrale de Nantes a façonné ma plume et éveillé ma passion pour l'écriture. Je parcours la toile avec des récits internationaux, explorant la culture, la société, et le monde du crime. Passionnée de sport et de voyages, j'explore aussi les coins les plus reculés. Mon engagement envers la transparence guide chacun de mes articles, apportant une authentique lumière à chaque sujet. Rejoignez-moi dans cette aventure où les mots peignent des images vives de cultures lointaines, de mystères criminels et d'horizons lointains.

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