Environnement

Nouvelle génération d’éoliennes : quand le durable détruit la nature – Moustique


Roumont. On y arrive par une petite route qui suit les méandres de l’Ourthe depuis la nationale 4 reliant Marche-en-Famenne à Bastogne. Nous sommes au cœur de l’Ardenne belge, dans un hameau de Bertogne qui a gardé ses ­fermes et ses maisons du XVIIe siècle. L’endroit paraît hors du temps tant il est bucolique. C’est un lieu d’où partent de nombreuses randonnées. Il y existe un tissu hôtelier composé de gîtes et de maisons d’hôtes. On y vient pour respirer, recharger ses batteries. S’y promènent également des ornithologues venus observer le milan royal ou la cigogne noire, deux espèces d’oiseaux menacées, inscrites sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Devant la dernière maison du village, la route de tarmac prend fin. Quelques personnes souhaitent nous montrer ­quelque chose. Sybille, infirmière, Karine, médecin, Baudouin, agronome. Tous, la cinquantaine finissante. Visages hâlés, yeux clairs. Leur apparence indique qu’ils ont l’habitude de marcher. On grimpe dans une Jeep. La route goudronnée laisse place à un chemin défoncé. On monte vers un plateau forestier: le bois de Herbaimont.

Ici, c’est un couloir de connexion entre la toute grande forêt de Saint-Hubert et les forêts des Fagnes. Il va y avoir une éolienne juste là.” Difficile de réaliser. Parce que ce que Baudouin désigne est un endroit un peu encaissé à une centaine de mètres de la piste, couvert d’une dense forêt composée de sapins et de feuillus. Il va donc falloir raser tous ces arbres. Un hectare. Pour y construire une éolienne de 230 mètres de haut. Un peu moins que la tour Eiffel. Ce serait l’une des plus grandes de Belgique. On continue et l’on se demande comment des camions transportant des pales de 80 mètres vont pouvoir manœuvrer sur ce petit chemin. À moins de raser ses abords. On arrive sur une hauteur. On descend du véhicule. Karine montre une affichette. “C’est comme cela qu’on a appris le projet d’implantation voulu par Luminus, une chance que j’aime me balader en forêt!

Les promeneurs ont appris le projet éolien du bois de Herbaimont via des affichettes. © Gauthier De Bock

Il y a un deuxième projet d’installation de quatre éoliennes de 230 mètres, établi par Aspiravi dans le bois de Herbaimont. “Il y a eu une séance d’information fin mai. Quelques jours après, les mâts ont été plantés”, ajoute-t-elle. Les deux mâts rouge et blanc sont distants de quelques centaines de mètres. Entre les deux se trouve une construction assez ancienne: une infrastructure de captage d’eau. Il y a beaucoup de sources et de ruisseaux dans la forêt. Sybille montre au loin, dans les champs un peu en contrebas, des éoliennes en construction. “Elles seront finalisées endéans l’année. Leur permis a été délivré par la Région wallonne en 2021 malgré l’opposition de la commune.

En force et en discrétion

La commune dont parle Sybille, c’est Sainte-Ode. Les travaux de terrassement et d’accès des sites des éoliennes sont déjà bien avancés et de nombreux habitants de la région semblent seulement les découvrir. Les projets d’implantation ont fait l’objet d’une publicité assez mince: des petites ­affiches agrafées sur des poteaux plantés au bord des champs. Le bourgmestre de la commune, Pierre Pirard, confirme les dires de Sybille. “La Région wallonne a accordé les permis et est passée outre les objections de la commune.” La direction des permis et des autorisations du Service public Wallonie a, in extremis, réagi. Elle évoque notamment le décret du 11 mars 1999 relatif au permis d’environnement. Lequel vise entre autres “à contribuer à la poursuite des objectifs de préservation des équilibres climatiques, de la qualité de l’eau, de l’air, des sols, du sous-sol, de la biodiversité et de l’environnement sonore, et à contribuer à la gestion rationnelle de l’eau, du sol, du sous-sol, de l’énergie et des déchets”.

L’implantation d’éoliennes est un dossier épineux. Les membres de l’Union européenne se sont engagés à faire en sorte que leur consommation finale d’énergie comporte 13 % de source d’énergie renouvelable (SER). Or en 2021, la part de SER en Belgique ne représentait que 10 %. Il a donc fallu que le pays rachète un “transfert de statistiques” au Danemark (qui produit plus de 13 % de SER) contre 8,8 ­millions d’euros. Ne pas produire suffisamment d’électricité verte coûte ainsi de l’argent à l’État. Le seuil minimal de SER voulu par l’UE va augmenter avec les années. En effet, le green deal européen ambitionne la neutralité carbone pour l’année 2050. Il est donc nécessaire de produire plus d’électricité verte. Mais pour faire tourner une éolienne, il faut un vent de qualité. La qualité du vent est fonction de l’espace dégagé devant lui. Un espace minimum est nécessaire pour implanter une éolienne. Nous n’avons que 63 km de côte qui seront à saturation. On construit donc plus d’éoliennes sur les terres. Mais là aussi, il y a des limites: notre pays est petit et on ne peut pas implanter des éoliennes sur n’importe quel terrain.

Un mât planté à l’emplacement du projet éolien dans le bois de Herbaimont. © Gauthier De Bock

Accords faramineux

La “Pax eolienica II” adoptée par le gouvernement wallon le 25 octobre dernier assouplit les conditions d’implantation. Son objectif est clairement indiqué: “Les mesures proposées doivent permettre d’augmenter le potentiel de production éolienne en Région wallonne”. Cet objectif est conditionné entre autres par deux impératifs: “Diminuer la durée totale de la procédure menant à l’octroi définitif des permis” et “le nombre de recours à l’encontre des projets”.

Et les projets sont très nombreux. Le nouvel objectif que le gouvernement s’est fixé à l’horizon 2030 est pour le moins ambitieux. Il s’agirait de produire 6.200 GWh d’électricité d’origine éolienne. En 2020, nous en produisions 2.450! Pour espérer atteindre l’objectif de 2030, il faudrait installer ­chaque année une capacité éolienne de 208 MW. En 2022 nous avions implanté une capacité de 99 MW (comme l’année précédente). Doubler le rythme, sacrée pression! Si l’on prend les plus grandes et les plus puissantes éoliennes – comme celles du projet du bois de Herbaimont (230 m/6 MW) -, il s’agit de 35 implantations par an. Les recours au Conseil d’État sont cependant très nombreux (actuellement plus de 800 MW de projets éoliens sur le territoire wallon y sont retenus). Il faut donc multiplier les projets d’implantation pour avoir une chance d’atteindre l’objectif de 35 éoliennes réellement ­installées (ou débloquer les MW du Conseil d’État).

Pour utiliser des terrains appartenant à autrui, des entreprises proposent de 5.000 à 25.000 euros par an aux propriétaires.

Des commerciaux d’opérateurs sillonnent donc les campagnes et les forêts éligibles à la recherche de propriétaires intéressés par l’installation d’une éolienne.“C’était une jeune femme de 35 ans, joliment pomponnée, explique Claudy, exploitant forestier à Roumont. Voilà, elle m’explique ce qu’elle voulait: un hectare de forêt. Elle me dit que je peux tout abattre et emmener le bois. Et que si je signe le contrat et que si le permis est accordé, Aspiravi me versera tous les mois 2.000 euros pendant 30 ans. Ce n’est pas rien, 2.000 euros. J’ai hésité. Mais quand je lui ai dit que je voulais signer le contrat devant mon notaire, elle n’a plus voulu. Alors, moi non plus, je n’ai pas voulu…” Claudy se pose des questions sur ce que ce refus de voir un notaire peut signifier. Et puis, il s’étonne: un hectare de forêt, à la vente, vaut quelques dizaines de milliers d’euros seulement dans la région. Bien mois que 24.000 euros par an pendant 30 ans. Que cache cette dérobade?

Lorsqu’un ensemble de terrains pourraient être éligibles à l’installation d’une éolienne, débarquent toute une série de prospecteurs”, explique David Remy, notaire à Fernelmont, près de Namur. Le but est d’obtenir l’accord d’un propriétaire pour pouvoir creuser le terrain afin d’installer des fondations, y mettre un mât et des pales, et se construire des voies d’accès. C’est ce qu’on appelle un “droit de réservation” qui se transforme, à l’obtention du permis, en un “droit de superficie”. Pouvoir construire sur un terrain appartenant à autrui. Contre de 5.000 à 25.000 euros par an, selon le type d’éolienne. Certaines compagnies sont parfois contrariées lorsqu’un notaire s’en mêle. “Quand j’assiste un client lors d’une telle opération, je veille au fait que la compagnie garantisse, lors du démontage de l’éolienne, que les bétons de fondation soient arrachés sur une profondeur d’au moins trois mètres. J’obtiens également des garanties de démantèlement. Enfin, je peux indiquer à mon client que le prix proposé se situe dans une fourchette accep­table.” Le prix dans le contrat de Claudy était correct. Aspiravi et également Luminus nous ont assuré qu’ils s’engageaient à démanteler. Pourquoi dès lors refuser la supervision d’un notaire? Les fondations poseraient-elles problème? Mystère.

Betteraves contre fruits des bois

Ce qui n’en est pas un, c’est que l’implantation d’une éolienne dans un champ le long d’une autoroute ou dans une forêt, le long d’un chemin de bûcheron, n’a pas les mêmes conséquences. En ­termes d’infrastructures énergétiques, déjà. Il faut pouvoir brancher l’énergie produite sur un réseau. Or si les réseaux sont présents le long des axes de ­circulation, ce n’est pas le cas des forêts. C’est la raison pour laquelle une éolienne ne peut normalement être construite au-delà de 750 mètres de distance d’une route à ­quatre bandes. Pour limiter la distance de connexion – aérienne ou enterrée – entre l’éolienne et le réseau présent le long des ­routes. Le cas du bois de ­Herbaimont est à cet égard particulièrement interpellant. Les deux mâts que nous avons vus se situent à 900 et à 2.200 mètres de la N4. Et puis il y a l’aspect écologique. Un champ de betteraves et une forêt n’ont pas la même biodiversité. Qu’en dit la Société royale forestière de ­Belgique, active depuis plus de 130 ans déjà dans la défense et la valorisation de la forêt? “Les forêts constituent dans certains lieux du pays les dernières grandes étendues indemnes d’une urbanisation ou d’une industrialisation de notre espace. L’éolienne installée dans des massifs forestiers ou à proximité de zones boisées a un impact principalement au niveau des oiseaux et des chauves-souris et, potentiellement selon les sites choisis, au niveau hydrique. L’énergie éolienne produite en forêt ne fait pas partie des services écosystémiques rendus par la forêt. La SRFB considère qu’elle n’y a donc pas sa place”.

Cette position est partagée par le Parc naturel des deux Ourthes (PNDO), créé en 2001 par le gouvernement wallon, et qui englobe les 5 communes voisines de Bertogne et de Sainte-Ode. Le PNDO avait édité sa ligne de conduite qui disqualifie les implantations de Herbaimont. “On leur a dit de taire leurs objections”, assure Baudouin. Sébastien Este, chargé de mission Aménagement du territoire et Tourisme au PNDO, confirme, courageusement, le malaise. Il n’est d’évidence pas confortable de défendre la forêt tout en dépendant de subsides accordés par un ­pouvoir qui la laisse se faire bétonner.

Le prix du silence

La dépendance au gaz russe, l’inflation et la saga de la sortie du nucléaire l’ont prouvé. La question de l’énergie n’est pas simple. D’autant que les effets du réchauffement climatique sont difficilement niables. Pour “diminuer le nombre de recours à l’encontre de projets vertueux”, les pouvoirs publics wallons entendent favoriser l’acceptabilité sociale des projets et susciter l’adhésion à ceux-ci via la Pax eolienica II qui regroupe l’ensemble de mesures destinées à favoriser l’implantation d’éoliennes en ­Wallonie. Comment? En partageant “l’énergie produite par une éolienne dans le cadre d’une communauté d’énergie” et en imposant aux opérateurs une participation des communes et des citoyens “d’au moins 25 %” aux bénéfices financiers générés. Souriez, vous êtes payé!



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Hugo Dupuis

Dans un monde peint de nuances d'encre et d'imagination, je suis Hugo Dupuis, un Spécialiste du Blogging, en équilibre à la croisée de l'exploration et de l'expression. Avec les salles de l'Institut Catholique de Toulouse comme ma creuset créatif, j'ai forgé un chemin où les mots deviennent des fenêtres ouvertes sur des contrées indomptées. Du plateau géopolitique à la délicate tapisserie de la nature, de l'arène rugissante aux couloirs secrets du divertissement, mon clavier danse au rythme des histoires en attente d'être racontées. La transparence est mon étoile guide, illuminant chaque récit de la brillance de l'authenticité. Alors, entrez dans ce royaume d'encre et d'idées, alors que nous nous embarquons ensemble dans un voyage à travers le labyrinthe de la politique mondiale, la symphonie de l'environnement, le frisson du sport et l'énigme du showbiz.

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