Ridouan Taghi, le baron de la drogue qui fait trembler Amsterdam – Vanity Fair France

Mais qui peut habiter là ? Fin 2019, durant de longues semaines, des policiers émiratis planquent devant une villa sans charme de Dubaï. Aucun mouvement, aucune voiture garée en face, même les volets demeurent fermés. De temps à autre, un jardinier vient tout de même arroser les plantes. Un visiteur semble apporter des vivres et des médicaments. Il ressort toujours de la villa avec une poubelle qu’il prend soin d’aller jeter à la déchetterie. Le 16 décembre 2019, aux alentours de 2 heures du matin, les forces d’intervention décident de lever leurs soupçons. Encagoulés, ils enfoncent la porte et découvrent un homme planté devant sa télévision, en train de siroter un mauvais vin sur son canapé, avachi aux côtés de sa compagne : Ridouan Taghi, l’un des criminels les plus recherchés en Europe.
C’est donc là que le narcotrafiquant vivait reclus et menait une existence que d’aucuns auraient qualifiée de misérable si les policiers n’avaient pas retrouvé l’équivalent de 125 000 euros en cash glissés dans le canapé. Plus loin dans le salon, une pile de magazines consacrés aux faits divers, preuve que l’homme était soucieux de sa notoriété. Depuis plusieurs années, impossible d’ouvrir un journal néerlandais sans voir son nom. Des articles souvent illustrés par la même photo, un selfie provocateur au bord d’une plage, où il apparaît cheveux courts et sourire narquois.
Devant les policiers émiratis se tient plutôt un homme à la coiffure hirsute et grisonnante, visage creusé par les Marlboro fumées à la chaîne et une consommation peu raisonnable de whisky. Trois jours après avoir été exfiltré de sa prison dorée, le voilà expulsé en Jet vers les Pays-Bas, puis amené en hélicoptère dans la prison la plus sécurisée du pays. Des moyens colossaux, à la mesure de la crainte qu’il inspire.
Ridouan Taghi est une légende du trafic de cocaïne dont le nom fait frissonner le royaume batave. Un garçon rusé, réputé ultra-violent, à la tête d’une fortune estimée à plusieurs centaines de millions d’euros. Avec d’autres barons de la drogue, il aurait édifié un « super cartel » contrôlant un tiers du commerce de la coke en Europe, selon les estimations de la DEA, la prestigieuse agence anti-stups américaine. Ridouan Taghi serait aussi un personnage d’une noirceur inouïe, accusé d’avoir importé, en plus de la poudre blanche, les méthodes des narcos sud-américains. Sa biographie est un voyage dans l’horreur, sa fiche Wikipédia une litanie des assassinats qu’il aurait commandités, et dont il se défend. Alors en tentant de retracer son parcours, les rares interlocuteurs à accepter de parler de lui m’ont posé deux conditions : garantir leur anonymat et utiliser une messagerie chiffrée avec suppression automatique des messages.
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Ridouan Taghi
Un narco porte plainte
Février 2012. Deux cents kilos de cocaïne débarquent au port d’Anvers, partis de Colombie à destination d’un revendeur amstellodamois. Pas de chance : un clan concurrent, les Turtles belges, avertis par un ami docker, dérobent discrètement la marchandise. Les semaines suivantes, ils finissent par se faire remarquer : ils écoulent soudain des quantités astronomiques de coke et paradent en Porsche. Début d’un interminable cycle de vengeance. L’un des Turtles est défiguré au fer à repasser. Deux autres se font tirer dans les jambes. Un quatrième est enlevé par de faux policiers, séquestré, torturé, pris en photo suspendu au-dessus d’un hachoir à viande puis relâché in extremis après le paiement d’une rançon estimée à plusieurs millions d’euros. Bientôt, les règlements de compte vont dépasser les frontières : un jour, on retrouve une tête découpée devant un bar à chicha d’Amsterdam ; un autre, voilà des corps carbonisés à Marbella sur la Costa del Sol rebaptisée Costa del Crime ; sans parler des fusillades jusqu’au Panama ou en République dominicaine… Au loin, la police néerlandaise compte les morts et assiste, impuissante, à la constitution de ce qu’elle appelle la Mocro-Maffia, une nébuleuse de petits groupes difficiles à identifier mais dont les figures partagent deux points communs : ils sont originaires du Maroc et ont la gâchette facile.
Le 24 juin 2015, un homme apeuré se rend au commissariat de Driebergen, dans la banlieue d’Utrecht. Il a découvert une balise de localisation placée sous son véhicule. Trois jours plus tard, il revient accompagné d’un certain Ebrahim Buzhu, figure notoire du trafic de stupéfiants. Ce serait lui la cible. Depuis des semaines, il se sent suivi par l’un de ses concurrents : Ridouan Taghi, alors inconnu des services de police. Et pourtant, ce Ridouan serait devenu en quelques années « un grand parrain de la cocaïne aux Pays-Bas », selon les déclarations de Buzhu. Entre ces deux-là, la brouille remonterait à une histoire de kidnapping d’un propriétaire de coffee shop lié à Taghi. Une affaire vieille de six ans, jamais soldée. Mais désormais, Buzhu ne parviendrait plus à lutter contre son rival. Alors il ose une chose impensable dans ce milieu où le silence est d’or : il porte plainte pour menace de mort.
« Les anges de la mort »
Qui est ce Taghi ? La justice peine à récolter des informations à son sujet, tant l’homme a su prospérer sans faire de bruit. Même son lieu de naissance est source de débat. Il serait né en 1977, à Bni Selmane, dans les montagnes du Rif ou peut-être à Tétouan, dans les environs de Tanger. Il a 2 ans quand sa famille s’installe à Vianen, en banlieue d’Utrecht. C’est un enfant timide, introverti, au sourire enjôleur, un peu perdu entre ses huit sœurs et deux frères. Pas mauvais élève mais du genre à se laisser entraîner par ses fréquentations. Enfant, il souffre d’un surnom, « le petit », et se fait racketter par les plus costauds. Pour s’endurcir, il intègre un gang au nom prometteur, les Bad Boys. Il commence par dealer à la sortie des cours, organise des courses de voiture en pleine rue. Une condamnation à 15 ans (sa seule et unique jusqu’à aujourd’hui) pour braquage, possession d’armes à feu et délit de fuite après un accident. Il s’inscrit un temps à la fac, en science de l’éducation mais retourne vite au trafic, plus rémunérateur qu’une carrière de professeur. Chez les Taghi, la culture de cannabis est une tradition héritée du grand-père paternel. Dans les années 1990, la famille se met à importer des tonnes de haschich en provenance du Maroc. La marchandise remonte en Espagne à bord de bateaux surpuissants, puis en voiture jusqu’aux coffee shops néerlandais. Début 2000, Ridouan prend un virage stratégique : il s’ouvre au business de la cocaïne, bien plus rentable que le « hasch ». Le tournant coïncide avec les besoins des cartels colombiens et mexicains de trouver de nouvelles routes vers l’Europe. Les ports d’Anvers et de Rotterdam deviennent les portes d’entrée de la poudre blanche sur le continent. En 2010, cinq tonnes et demie de coke sont saisies dans le port belge.
Taghi profite aussi du vide laissé par la guerre fratricide causée par les Turtles. Il noue des alliances de circonstances avec Rico le Chilien et Naoufal Fassih, deux gros poissons néerlandais. Surtout, il se taille une réputation d’homme capable d’éliminer tous ceux qui se mettraient en travers de son chemin. Les rares qui ont osé parler à son sujet décrivent un garçon impulsif, paranoïaque, alcoolique de surcroît, accro à l’adrénaline et ivre de lui-même, toujours prêt à faire régner la terreur. Le nom de son gang ? « Les anges de la mort ».
En juillet 2015, peu après les déclarations d’Ebrahim Buzhu, les policiers parviennent jusqu’au box d’un garage de Nieuwegein, près d’Utrecht. Découverte saisissante : 92 armes à feu, 4 000 cartouches et un chargement de gilets pare-balles… Plusieurs ex-Bad Boys sont arrêtés et la justice commence à reconstituer la toile. Ridouan Taghi ne se contenterait pas de jouer les trafiquants. Il aurait aussi mis sur pied une redoutable équipe de liquidation. Quelques semaines plus tard, le 9 septembre 2015, un certain Ronald Bakker, 59 ans, est abattu dans sa voiture en rentrant du travail. Il était employé de la boutique Spyshop à Nieuwegein, spécialisée dans la vente de produits d’espionnage, où les nervis de Taghi venaient faire leurs emplettes : systèmes de suivi à disposer sous un châssis de voiture, Blackberry reconditionné avec le système de communication chiffré Pretty Good Privacy (PGP)… Ronald Bakker aurait eu le tort de souffler des informations à la police. Son assassinat sonne donc comme un avertissement : quiconque parle de Taghi et de ses hommes sera éliminé.
Quelques mois plus tard, Samir Erraghib, un ponte de la Mocro-Maffia, apprend la leçon à ses dépens. Un dimanche matin d’avril 2016, il est abattu au volant de sa voiture. Sur le siège passager, sa fille de 7 ans a tout vu. Ce rival avait-il vraiment livré des informations sur Taghi ? Peu importe : « Une rumeur suffit à mettre la vie de quelqu’un en danger », précise un connaisseur du dossier.
Martin Kok, lui, se montre plus intrépide. Ce criminel repenti tient un blog sur la pègre dans lequel il a la fâcheuse tendance de donner d’innombrables détails et même de publier des photos de ses ex-confrères. Son domicile est d’abord arrosé à l’arme automatique, des explosifs sont retrouvés sous sa voiture. Même pas peur. Dans les médias, le blogueur se moque de Ridouan Taghi et promet de continuer à dénoncer ses agissements. Presque un suicide. Le 8 décembre, il sort d’un hôtel quand un tueur à gages se place dans son dos et tire. L’arme s’enraye, le coup ne part pas. Kok n’a rien vu, rien senti. Répit de courte durée. Le soir même, en sortant d’un club échangiste, il est de nouveau visé par un autre sicaire. Et cette fois, on ne le rate pas. Taghi, lui, se défend d’avoir commandité l’assassinat.
Mais ses affaires prospèrent. En mai 2017, il assiste au mariage de Daniel Kinahan, sulfureux promoteur de boxe et parrain de la pègre irlandaise. L’événement a lieu dans le fastueux hôtel Burj al-Arab de Dubaï et regroupe le gratin du crime organisé. Un informateur de la DEA, glissé parmi les convives, découvre l’architecture d’un super-cartel européen. Aux côtés de l’Irlandais, le Bosnien Edin Gacanin aux puissants liens avec les fournisseurs colombiens et l’Italien Raffaele Imperiale de la Camorra, dont l’expertise en matière de blanchiment d’argent n’est plus à prouver. À cette coalition, Ridouan Taghi apporte sa maîtrise des ports. D’année en année, les douanes belges annoncent des records de saisie à Anvers (près de quarante tonnes de cocaïne rien qu’en 2017). Sans être dupes : ces prises sont la preuve qu’un tsunami blanc déferle sur l’Europe.
Les aveux d’un repenti
Plusieurs ratés vont mettre en difficulté « les anges de la mort ». Le 12 janvier 2017, un homme est abattu devant son domicile dans une cité d’Utrecht. Les tueurs pensaient viser « Imo », soupçonné d’avoir livré des informations à un rival. Ils ont en fait descendu un parfait innocent dont le malheur était d’habiter le même immeuble. Quand il découvre la nouvelle dans la presse, Nabil Bakkali est anéanti. Ce nervi de l’organisation Taghi était chargé d’effectuer les opérations de repérage. Pire encore, la victime était un de ses amis d’enfance, invité au mariage de sa sœur. L’homme se retrouve pris dans un conflit de loyauté (les tueurs à gages peuvent aussi avoir des remords). Deux jours après les faits, il vient présenter ses condoléances à la famille de la victime, tout en s’accusant du meurtre. Avant de se rendre à la police. Il négocie un statut de « témoin de la Couronne », pour s’assurer que la divulgation de ses secrets lui vaudront une réduction de peine. Puis il se met à parler.
Le repenti raconte comment il s’est fait enrôler dans l’organisation. Tout s’est joué dans un coffee shop d’Utrecht où Taghi avait ses habitudes. Le trafiquant s’installait toujours dans le même coin pour jouer aux échecs, avait l’alcool mauvais, mais se montrait aussi facétieux, généreux, capable de lâcher des billets de 500 euros au barman ou aux gamins du quartier. Nabil Bakkali aurait évoqué ses problèmes d’argent, Ridouan Taghi lui aurait proposé de jouer les porte-flingues. Ça a commencé comme ça.
Il décrit ensuite la structure de l’organisation, donne des noms, évoque la liste des personnes à abattre, régulièrement mise à jour. Parmi eux, un client visé par au moins trois tentatives de meurtre, pour ne pas avoir payé une livraison de 200 kilos de haschisch. Plusieurs criminels d’Utrecht se seraient cotisés pour verser 130 000 euros et retirer le mauvais payeur de la liste noire. Nabil Bakkali explique aussi comment l’organisation est parvenue à corrompre un fonctionnaire de la mairie d’Amsterdam pour obtenir des informations sur des rivaux à partir d’une simple plaque d’immatriculation. Cent euros la requête. Le filon aurait servi pour le meurtre de Martin Kok. Au gré des aveux, Nabil Bakkali devient ainsi la pièce maîtresse de la justice néerlandaise. En retour, sa tête est mise à prix par la Mocro-Maffia : 500 000 euros.
Traque et faux passeport
Fin 2017, nouvelle bévue. Taghi aurait missionné deux sbires pour se rendre au Maroc et supprimer l’ancien bras droit de son ennemi juré. Celui-ci tient un café dans un quartier touristique de Marrakech. Le 2 novembre 2017, en début de soirée, deux hommes cagoulés s’approchent ainsi de la terrasse sans se rendre compte que leur cible en T-shirt blanc vient de s’éclipser : ils tirent sur un étudiant en médecine de 26 ans habillé de la même façon. La victime, mortellement touchée à la tête, était aussi le fils d’un éminent juge. Désormais les services marocains se mettent aussi aux trousses de Taghi.
La violence redouble. Le 26 mars 2018, Nabil Bakkali est publiquement présenté par la justice néerlandaise comme « témoin de la couronne ». Six jours après, son frère est abattu. Quelques semaines plus tard, le siège du Panorama, magazine dont le numéro alors en vente contient une enquête sur la Mocro-Maffia, est attaqué au lance-roquettes. Cinq jours après, c’est au tour du quotidien populaire De Telegraaf d’être la cible d’un attentat à la voiture bélier. Le lendemain, le journal titre : « Nous ne nous laisserons pas intimider » Mais qui ne le serait pas ? Comble de l’horreur, le 18 septembre 2019, l’un des avocats de Nabil Bakkali, est liquidé au petit matin à Amsterdam, sous les yeux de sa femme. Cette fois, le meurtre secoue le pays. Jusque-là, nombre de Néerlandais pensaient sans se l’avouer : « Tant qu’ils se tuent entre eux… » Désormais, magistrats et journalistes deviennent des cibles. Et les médias s’interrogent : les Pays-Bas seraient-ils devenus un narco-État ?
La traque de Ridouan Taghi prend une tournure politique. Une récompense de 100 000 euros est promise à quiconque livrerait des informations. Mais qui irait risquer sa vie pour cette somme ? La police néerlandaise publie un nouveau portrait du fugitif, grossièrement vieilli et suggère – sans rire – à ses compatriotes de garder l’œil ouvert en vacances à l’étranger. Car les enquêteurs le soupçonnent d’avoir rejoint sa femme et ses six enfants à Dubaï, le nouveau paradis des malfrats, un éden où banquiers et agents immobiliers ont la délicatesse de ne pas poser trop de questions sur la provenance de l’argent. La police locale a aussi la réputation de peu coopérer avec ses homologues étrangers. Il faut une pression conjointe des Pays-Bas et du Maroc pour pousser Dubaï à traquer Taghi. Jusqu’à sa fameuse arrestation en 2019 dans sa villa. Ce jour-là, les fins limiers de la police comprennent comment le fugitif a pu se jouer des frontières, grâce à un faux passeport délivré par un fonctionnaire véreux de la mairie de La Haye.
À son arrivée sur le sol néerlandais, le suspect garde le silence sauf pour dénoncer les violences physiques dont il dit avoir été victime de la part des autorités émiraties. « Pendant 72 heures, ils m’ont torturé en m’électrocutant dans un local glacial », s’indigne le détenu, photos de son visage tuméfié à l’appui. Ses conditions actuelles de détention dans la prison de haute sécurité de Vught aux Pays-Bas posent aussi question. Il y séjourne depuis près de deux ans, placé à l’isolement dans une aile vidée de tout codétenu. Ses gardiens sont cagoulés et n’échangent avec lui qu’à travers des lettres glissées sous sa porte. Ses communications téléphoniques avec l’extérieur ont été, un temps, supprimées et sont désormais soumises à des conditions inédites : dix minutes maximum, trois créneaux par semaine avec interdiction de parler arabe alors que sa mère ne connaît pas d’autre langue. Taghi ne voit plus de visage humain, n’entend quasiment plus aucune voix. Une pratique assimilée à de la torture, selon Menya Arab-Tigrine, son avocate française. « L’État néerlandais répond à la peur par la terreur, s’offusque-t-elle. Ils ont eu peur de cet homme et ils le lui rendent par des actes en dessous de ce qu’on peut attendre d’un État de droit. » Elle-même empêchée de rencontrer son client, elle a saisi, en novembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme pour dénoncer des conditions de détention contraires au respect de la dignité humaine.
L’armée en renfort
Il est vrai qu’au début de son incarcération, Taghi avait engagé son neveu dans son équipe de pénalistes. Leurs parloirs étaient sonorisés et les gardiens avaient entendu des bruits de griffonnage. Après avoir placé une discrète caméra de surveillance, ils ont découvert le subterfuge : Taghi notait des instructions sur un papier, dont certaines portaient sur une potentielle tentative d’évasion. Il aurait ainsi exigé d’avoir recours à « de vrais pros, des Navy Seals », du nom des forces spéciales américaines et conseillé d’acheter 1 500 litres d’huile à déverser sur la route si la police venait à les poursuivre. Signe de la fébrilité des autorités néerlandaises, l’espace aérien au-dessus de la prison a dû être fermé à plusieurs reprises.
Leur nervosité est décuplée depuis que Taghi est jugé dans le cadre du procès « Marengo ». Là encore, mesures de sécurité dantesques : salle d’audience retranchée en périphérie d’Amsterdam dans un bâtiment baptisé « le bunker », dispositif policier tellement lourd qu’il a fallu appeler l’armée en renfort… Ridouan Taghi fait partie des dix-sept suspects accusés d’avoir commandité treize tentatives de meurtres, dont six ont abouti. Il sait que son avenir est déjà écrit. « La vie en prison ? D’accord, tant pis », lançait-il, lors de son premier interrogatoire. Depuis, il parle peu, rejette les accusations, jure n’avoir jamais croisé Nabil Bakkali et se vante de la crainte qu’il inspire : « Si je lisais un article sur moi dans le journal, je serais aussi un peu intimidé. » Il assure aussi ne pas être l’auteur des messages interceptés. Une masse de conversation telle que les enquêteurs peinent à tout déchiffrer. « Ha ha ha, je suis déjà ivre petit frère et j’ai besoin de sang, rien d’autre », aurait-il écrit à un proche, au faîte de sa gloire.
Police and justice fear a very violent liberation attempt to get Ridouan Taghi from the Extra Secure Institution (EBI). Taghi is said to have made tens of millions of euros available. A cousin would be looking for a commando for such an outbreak. Ridouan Taghi imprisoned in the EBI Justice and police have taken extra security measures around the prison in Vught. Netherlands on December 3, 2021. Photo by Robin Utrecht/ABACAPRESS.COM
Désormais, la question n’est plus tant de savoir si Taghi va passer le restant de ses jours en prison, mais si du bout de sa cellule, il continue à tirer les ficelles. Le 6 juillet 2021, le journaliste Peter R. de Vries, devenu conseiller du « témoin de la couronne », est abattu en plein jour à Amsterdam. Six mois plus tard, le corps supplicié d’Ebrahim Buzhu, le premier à avoir dénoncé Taghi sept ans plus tôt, est retrouvé le long d’une route du sud de l’Espagne. Des personnalités de premier plan sont aussi menacées d’enlèvement. La princesse héritière Amalia, 19 ans, fait l’objet d’une vigilance renforcée et le premier ministre, Mark Rutte, a été invité à ne plus se déplacer à vélo comme il en avait l’habitude. À chaque fois, plane l’ombre de Taghi même si ses défenseurs rappellent qu’il n’est pas poursuivi pour ces faits. La Mocro-Maffia, de toute façon, lui survivra. En 2022, 110 tonnes de cocaïne ont été saisies à Anvers.
Fin juin, le ministère public a requis la perpétuité contre Taghi. Le verdict devrait être connu le 20 octobre mais pourrait être une énième fois repoussé. L’exploitation d’innombrables conversations sur le réseau chiffré Sky ICC, prisé des narcotrafiquants, promet encore des surprises. Inez Weski, avocate de Taghi et pénaliste de renom, a ainsi été arrêtée le 21 avril dernier, soupçonnée d’avoir servi d’intermédiaire. Selon des messages interceptés, deux proches de son client lui auraient imposé de transmettre une clé USB et des instructions. Le lendemain, c’était au tour d’un cousin de Ridouan Taghi d’être interpellé, accusé d’avoir participé à l’assassinat de l’avocat de Nabil Bakkali. Ainsi, la toile se rétrécit et c’est même toute la Mocro-Maffia qui semble aujourd’hui sur le déclin, supplantée par des clans albanais. La lutte contre le trafic de drogue ressemble souvent à un éternel recommencement. Et cette fois, Ridouan Taghi ne devrait être qu’un simple spectateur.