« C’est assez violent » : Pap Ndiaye, François Braun… l’amertume … – Le Parisien

Jeudi 20 juillet, en plein remaniement. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, fait une de ces tournées des popotes dont il a secret. Vers 15 heures, il compose le numéro de Pap Ndiaye. « C’est gentil de m’appeler, personne ne m’a prévenu… » souffle le ministre de l’Éducation nationale, au bout du fil. Le nom de son successeur, Gabriel Attal, tourne pourtant déjà en boucle sur les chaînes d’info. L’historien sait qu’il va partir, mais on ne le lui a toujours pas formellement signifié. Cruel. Pour les ministres de la société civile sortis sans ménagement du gouvernement, ce jeudi fut l’ultime station d’un chemin de croix.
« C’est assez violent. Au fond de vous, jusqu’à la dernière minute vous espérez rester », témoigne Jean-Christophe Combe. Et puis, il y a ce dîner, le mardi soir, à l’Élysée. « On se dit : Si le président nous invite tous, c’est que les choses ne sont pas faites… » L’ex-ministre des Solidarités ne s’est pas rendu, en revanche, au pot de fin de session au ministère des Relations avec le Parlement le lendemain. Cette fois, le nom de sa remplaçante, Aurore Bergé, s’étale dans la presse. C’en est trop. « Jean-Christophe fait ses cartons… » glisse François Braun (Santé) ce soir-là, devant ses collègues. Sans se douter alors qu’il connaîtra bientôt le même sort.
« Ce n’est pas lié à ton travail, il faut un cogneur dans les médias et dans l’hémicycle »
Dès le lundi, la cheffe du gouvernement, Élisabeth Borne, s’est mise en quête de son remplaçant. Mais Braun ne s’est pas préoccupé des bruits, n’a pas perçu les signaux. Frédéric Valletoux lui a bien confié avoir été approché. Mais le député Horizons est resté sans nouvelle depuis. Alors… Le ministre de la Santé continue comme si de rien n’était, calant même une interview sur BFMTV le matin du remaniement, quand les habitués savent qu’il vaut mieux la jouer sous-marinier dans ces périodes. « Je suis à ma tâche », s’avance-t-il en plateau.
Quelques heures plus tard, quand son téléphone affiche « E. Borne », il comprend que sonne le glas. Le choc est rude, l’échange est froid. « Je crois que tu as compris que l’on ne peut pas continuer avec toi… » entame la Première ministre. Lui : « Non ». Braun cherche à savoir qui lui succédera. « Je ne peux pas te le dire. » Viennent ces mots, quasi les mêmes que pour Jean-Christophe Combe ou Isabelle Rome (Égalité Femmes-Hommes) : « Ce n’est pas lié à ton travail, il faut un cogneur dans les médias et dans l’hémicycle ». Le président, décode un proche, « il lui faut du récit, que l’on montre la transformation, sinon il doute ».
L’année aura décidément mis ces novices à l’épreuve. Jetés dans le grand bain à l’été 2022, en pleine saison des négociations budgétaires. Il faut décrocher les premiers arbitrages, prendre en main son administration, affronter les réunions interministérielles. Certains sont cornaqués par des piliers de cabinet, envoyés par l’Élysée ou Matignon. Sans cela, affirme un collaborateur expérimenté, « un ministre de la société civile peut devenir une grenade dégoupillée ». Et puis, il y a le Parlement… L’art politique y est d’autant plus périlleux que la majorité est ultra-relative à l’Assemblée. L’hémicycle, morcelé. Bouillant.
« Je n’ai pas eu envie de changer »
Comme ce soir de novembre 2022, avec la proposition de loi LFI sur la réintégration des soignants non-vaccinés. Coups bas et coups de sang ; la majorité tremble d’être battue. Observant le désastre, le porte-parole Olivier Véran (ex-Santé) propose ses services. « Tu crois qu’Olivier pourrait t’aider ? » répercute Franck Riester (Relations avec le Parlement) à François Braun. « Oui, car il a eu l’expérience de ces discussions pendant le Covid », répond l’intéressé, sans songer… à l’effet ainsi renvoyé. On retiendra que son prédécesseur a dû voler à son secours. Chausse-trape pour Combe, cette fois, quand il s’agit de trouver une place dans l’agenda de l’Assemblée à la proposition de loi « Bien vieillir », maintes fois reportée. Il n’a pas su l’imposer. Elle n’est toujours pas votée.
Quant aux Questions au gouvernement… « Il faut taper un peu plus », lui commandent en vain Riester ou Borne. « Ce n’était pas moi, ce n’était pas comme ça que j’avais envie de porter mes sujets. Je n’ai pas eu envie de changer », fait valoir Combe. Sans doute aussi échaudé par la polémique essuyée en octobre 2022, pour avoir expliqué que les assistances maternelles gagnaient « trois fois le smic ». De quoi faire mentir ce conseil de Roselyne Bachelot à un François Braun stressé par l’exercice : « Il faut se détendre. De toute façon, ils n’écoutent pas la réponse ».
Emprunter trop maladroitement les codes de la politique peut aussi conduire à trébucher. Isabelle Rome a sans doute scellé sa fin le jour où elle a étrillé, dans les colonnes du Figaro, l’interview de sa collègue Marlène Schiappa à Playboy. Rome n’avait prévenu personne en haut lieu. Comme Schiappa n’avait rien dit de son entretien au magazine de charme. Borne était furieuse. Contre les deux.
« À un moment donné, il fallait prendre le ballon ! »
« J’ai toujours obéi aux consignes, notamment de faire relire les interviews quitte parfois à les aseptiser. C’est étonnant qu’après, on nous reproche de ne pas exister », pointe Combe, en écho. Aujourd’hui encore, il demeure persuadé qu’une « diversité » des profils est « importante pour la démocratie ». Au cours de l’hiver Pap Ndiaye s’interrogeait, lui, en ces termes : « La question, c’est aussi de savoir si la vie politique peut s’accommoder de personnes qui ne viennent pas du milieu ».
C’était la promesse d’Emmanuel Macron en 2017. Changement de braquet en juillet 2023. « Ces ministres n’ont pas joué du rapport de force politique lié à leur nomination. À un moment donné, il fallait prendre le ballon ! » tranche le député PS, Jérôme Guedj, les dépeignant même en « victimes consentantes ».
Le 20 juillet, Pap Ndiaye aura Emmanuel Macron en ligne dans la soirée ; puis, il héritera finalement d’un poste d’ambassadeur au Conseil de l’Europe — à tous, le président a promis qu’ils seraient aidés. Dans son discours d’adieu, l’ex-ministre de l’Éducation a reconnu avoir vécu l’année « peut-être la plus âpre » de son existence. Avec comme ultime épreuve, la solitude face au feu nourri qui l’a visé lorsqu’il a estimé que la chaîne CNews « était clairement d’extrême droite ». Jusqu’au Conseil des ministres du 12 juillet où Emmanuel Macron prend sa défense. Dans l’heure, Pap Ndiaye a reçu moult messages de collègues. « La comédie humaine est assez brutale », en a-t-il conclu.