“Sandrine Rousseau est le symbole d’une gauche qui se prétend … – Marianne

Wokisme, néoféminisme, islamo-gauchisme… Le renouveau du spectre politique conduit à l’apparition de néologismes désignant des courants idéologiques. Néanmoins, au contraire des grands débats du XXe siècle, les avocats de ces doctrines cherchent autant que faire se peut à éluder le « isme » qui les habite. Présenter une conviction politique comme une vérité générale n’est naturellement pas un phénomène nouveau : le marxisme se prétend scientifique depuis sa formulation. En revanche, les courants néoprogressistes se donnent aujourd’hui pour mission de nier leur propre existence.
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Il semble évident que les propos de Sandrine Rousseau à l’encontre de ses congénères carnivores sont pleinement idéologiques. En ciblant de la sorte « la consommation de viande » comme responsable des incendies partout autour de la planète, elle entend démontrer le caractère mortifère d’un monde globalisé où l’agriculture intensive serait la première coupable du réchauffement climatique. Si l’idée n’est pas novatrice, c’est sa formulation qui interroge. La députée de Paris n’a pas poursuivi son propos au nom d’un grand courant idéologique qui serait facilement identifiable par les électeurs (en l’occurrence, on pourrait entre autres penser à l’antispécisme ou l’altermondialisme). Au contraire, elle s’est contentée de cibler les personnes au comportement, selon elle, immoral : « Se prendre en photo, a-t-elle écrit sur Twitter, tout sourire, avec un morceau de viande, aujourd’hui, c’est cracher à la figure de celles et ceux qui fuient, brûlent, meurent de chaleur. »
Une ère postpolitique
Cet appel général à une vertu bas de gamme est significatif de responsables politiques qui entendent conclure l’ère des idéologies au profit de celle de la postpolitique. D’ailleurs, dans un entretien fin 2021 sur Europe 1, la membre d’Europe Écologie Les Verts avait renié toute affiliation au « wokisme » tandis que la journaliste Sonia Mabrouk l’interrogeait sur le sujet. Admettant au mieux qu’il s’agit d’un qualificatif lui étant régulièrement attribué, elle s’est inscrite dans la continuité d’une large partie du mouvement woke qui s’acharne à expliquer que celui-ci n’existe pas.
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L’appartenance à un paradigme postpolitique ou au vieux logiciel des « grands récits » est en outre un point prégnant du clivage gauche/droite. Les conservateurs sont tellement attachés à la mise en exergue des courants idéologiques qu’ils sont bien souvent à l’origine de certaines conceptualisations théoriques de la doctrine progressiste, comme en témoignent les controverses liées à l’existence même du wokisme. En France, l’un des auteurs les plus précis sur les thématiques wokes, Pierre Valentin, ne saurait ainsi être renvoyé à ce spectre idéologique. Il en va de même aux États-Unis : si le droitier New York Post consacre une rubrique entière à la « culture woke », rare sont les références au wokisme dans le New York Times, sauf pour dénoncer l’obsession des Républicains sur le sujet.
En somme, l’on se positionnera à droite de l’échiquier politique au XXIe siècle dès lors que se revendiquer d’un « isme » nous semblera pertinent. Au contraire, le renouveau idéologique de la gauche, devenue allergique au « socialisme » du XXe siècle, préfère renvoyer aux individus et non aux idées. L’objectif : parvenir à incarner à la fois le vrai et le juste, faisant de la probité un nouvel impératif politique. Or en conférant un caractère moral et non idéologique aux désaccords politiques, la possibilité d’entraver le processus d’archipellisation de la société française semble compromise.