Au cours du XXᵉ siècle, c’est la « watture » qu’on assassine – Le Monde

Cela tient du réflexe pavlovien. Que survienne une crise majeure – le XXe siècle n’en a pas été avare – et les constructeurs automobiles redécouvrent les vertus de la voiture électrique. Pénurie persistante ou envolée des cours du pétrole ? On convoque le kilowatt, la solution de bon sens, toujours disponible. Les marques ressortent des tiroirs leurs études de véhicules à batterie, en général pas tombées de la dernière pluie. Et puis, quand les choses rentrent dans l’ordre et que le pétrole coule de nouveau en abondance, chacun revient vite aux bonnes vieilles habitudes, autrement dit au moteur thermique.
Alternative sérieuse lorsque l’automobile naissante est un objet élitiste (au début du XXe siècle), l’électricité s’évanouit au moment où la voiture devient un produit de grande diffusion. En France, la Grande Dépression de l’entre-deux-guerres la remet à peine à l’ordre du jour. En 1939, on compte un tout petit millier d’utilitaires électriques ; des bus à Lyon, des bennes à ordures ici ou là (Paris, Bordeaux, Orléans, Nice) ou des corbillards à Roanne (Loire).
Clivage politique
L’Occupation, qui impose d’imaginer dans l’urgence des solutions de remplacement, jette sur les routes des voitures à gazogène mais aussi des Simca 5 ou des Rosengart « électrifiées » par des artisans ou d’audacieux bricoleurs. Parmi les grandes marques, seule Peugeot s’est intéressé à la voiture électrique avec la voiture légère de ville (VLV), une deux-places lancée en 1941, capable de parcourir 80 kilomètres. Conformément à sa philosophie, la maison franc-comtoise se félicite de privilégier le coût d’usage de ce véhicule, dont elle assure qu’il est très faible. Quelques postiers, médecins et vétérinaires de campagne en font leur quotidien. Le gouvernement de Vichy, qui voit d’un bon œil l’essor de la voiture électrique animée par une « énergie nationale » d’origine principalement hydraulique, caresse un projet de stations de recharge et de dépôts de batteries, répertoriés sur une carte de France calibrée pour être rangée dans la boîte à gants.
En juillet 1942, le régime interdit brusquement à Peugeot de poursuivre la production de la VLV – 400 exemplaires auront été fabriqués –, laissant le champ libre au modèle conçu par la Compagnie générale d’électricité (CGE) associée au fabricant de batteries Tudor, dont les promoteurs sont visiblement mieux introduits dans les cénacles du pouvoir. « A la Libération, la voiture électrique n’aura pas sa place, car elle a pris l’image d’un ersatz, d’un produit de substitution qui respire les mauvais jours de l’Occupation », constate l’historien de l’automobile Jean-Louis Loubet.
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