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Le diamant et ses nouveaux codes – Le Point


« Qui aurait imaginé il y a seulement dix ans que deux grands concurrents de l’industrie du luxe s’assiéraient à la même table en affirmant leur volonté de s’associer ? » s’enthousiasme Iris Van der Veken. La directrice exécutive de la Watch & Jewellery Initiative 2030 manifeste son optimisme en connaissance de cause. Cette structure associative lancée en octobre 2021 est portée à la fois par Kering (propriétaire de Boucheron, de Pomellato mais aussi de maisons de luxe telles que Gucci et Yves Saint Laurent qui s’intéressent de plus en plus aux bijoux précieux) et par Richemont (propriétaire de Piaget et Van Cleef & Arpels) via sa maison-star Cartier, mandatée pour l’occasion. L’association – qui comprend désormais 55 membres, dont Chanel joaillerie et horlogerie – affiche des objectifs ambitieux de développement durable. Ambitieux et surtout collectifs.

Cette aspiration à mettre en place des initiatives collaboratives était particulièrement flagrante lors de la table ronde organisée par le Natural Diamonds Council (organisme réunissant les principaux producteurs de la filière à l’échelle du globe) le 3 juillet dernier à Paris. Une date symbolique puisque débutait, ce jour-là, la semaine de présentation des collections de haute joaillerie qui allaient faire une fois de plus flamber les pierres d’exception – dont les diamants – au coût environnemental de plus en plus scruté à la loupe non seulement par les clients mais aussi par une partie significative de la société civile. Au cœur du salon Versailles de l’hôtel Bristol, le panel de participants – des acteurs de premier plan de l’industrie du luxe ou du diamant – s’est voulu encourageant et lucide, en évitant autant que possible la langue de bois.

Le cas du Rana Plaza

Livia Firth, qui animait la discussion, a clairement mis les pieds dans le plat. Il faut dire que la fondatrice d’Eco-Age – une agence de conseil accompagnant les entreprises sur le chemin de l’écoresponsabilité – n’a jamais failli à sa réputation d’écoguerrière. Si sa vindicte s’exprime plus volontiers envers le monde de la fast fashion, la militante surveille également de près l’univers du diamant. Elle a notamment travaillé pendant plusieurs années avec la maison Chopard, examinant soigneusement la chaîne d’approvisionnement du joaillier suisse. Dans le cadre de cette collaboration, l’activiste s’était rendue au Botswana pour comprendre avec précision l’impact de l’industrie minière du diamant.

« Au Bangladesh et au Cambodge, j’ai vu les industries du textile abuser de leur pouvoir sur une économie dépendante. Depuis l’effondrement dévastateur de l’usine Rana Plaza qui a tué 1 134 personnes en 2013, rien n’a été fait pour améliorer les choses dans le pays. La situation s’est même plutôt aggravée avec l’apparition sur le marché de nouvelles marques de fast fashion. Je craignais de trouver une situation équivalente quand je me suis rendue en 2019 au Botswana, premier producteur de diamants d’Afrique, pour visiter la mine Karowe, exploitée par le groupe Lucara. Mes craintes ont été dissipées. Le pays a déployé des efforts considérables. D’immenses investissements à long terme sont réalisés en collaboration avec les communautés locales pour s’assurer que les retombées profitent réellement à ceux sur le terrain. »

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Cette affirmation a été confirmée par l’actualité puisque le 30 juin, après plusieurs mois d’intenses négociations, Mokgweetsi Masisi, président du Botswana, a signé un accord de principe avec De Beers (dont 70 % des diamants viennent du Botswana) pour vendre directement une part plus grande de sa production diamantaire. Le président Masisi avait envoyé un message fort en avril dernier en acquérant 24 % des parts de HB, célèbre entreprise belge de taille du diamant. Cette participation impliquait de la part du Botswana une livraison de diamants pour cinq ans tandis que la société anversoise s’engageait à les transformer en totalité dans une nouvelle usine inaugurée à Gaborone. Le pays récupère ainsi une partie de la marge sur les diamants taillés.

L’industrie du diamant a, plus qu’aucune autre industrie, fait progresser la responsabilité sociétale des entreprises.

Dans un communiqué commun, le gouvernement du Botswana et De Beers ont salué un nouveau partenariat qui prévoit notamment un accord de vente sur dix ans des diamants bruts produits par la coentreprise Debswana, détenue à parts égales par le pays d’Afrique australe et le conglomérat sud-africain. Cet exemple de coopération fructueuse entre un gouvernement et un géant de l’exploitation minière autorise Livia Firth à proclamer avec vigueur : « L’industrie du diamant a, plus qu’aucune autre industrie, fait progresser la responsabilité sociétale des entreprises. »

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Le rôle des diamants dans la guerre civile

Cette progression a véritablement débuté, d’après les participants, en 2003, avec le lancement du régime international de certification des diamants mis en place dans le cadre du Processus de Kimberley. Cette plateforme de négociation – entreprise en 2000 et réunissant six États importateurs et exportateurs de diamants (l’Afrique du Sud, la Belgique, le Botswana, les États-Unis, la Namibie et le Royaume-Uni) ainsi que des représentants de l’industrie du diamant (principalement De Beers) et des organisations de la société civile – prenait acte de la corrélation observée entre la présence de diamants bruts sur un territoire et le développement de conflits.

Le rôle des diamants dans la guerre civile angolaise avait particulièrement été souligné à l’époque par les ONG. Dans son rapport « The Heart of the Matter » consacré à la guerre civile sierra-léonaise, l’ONG Impact révélait que les rebelles de Foday Sankoh échangeaient des diamants bruts contre des armes, par l’entremise du président libérien Charles Taylor. « Le Processus de Kimberley a fait déferler une puissance vague de transformation », insiste Iris Van der Veken qui égrène plusieurs dates clés : « En 2005, le Responsible Jewelry Council – une organisation certifiante visant à promouvoir les pratiques responsables en matière d’éthique, d’environnement et de conditions de travail – est créé : la transparence dans la chaîne d’approvisionnement de la joaillerie devient pour la première fois un sujet majeur. 2015 est également un moment important puisque 17 objectifs de développement durable ont été négociés, introduits et adoptés par tous les États membres des Nations unies. Ces 17 objectifs guident précisément les actions de la Watch & Jewellery Initiative 2030. Ces actions mesurables s’articulent autour de trois domaines phares : le climat, la biodiversité et l’inclusivité en termes de droits de l’homme, de genre et d’exploitation artisanale des compétences. Le prochain combat se situera au milieu de la chaîne d’approvisionnement qui est constituée de petites entreprises n’ayant pas nécessairement les capacités d’améliorer leurs pratiques. »

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Un objectif clé : la traçabilité

Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable et des affaires institutionnelles de Kering depuis 2012, pointe du doigt l’importance cruciale de la traçabilité. « Nous ne serons pas en mesure de mettre en place des actions concrètes tant que nous ne saurons pas d’où viennent les matières premières. Pour atteindre cet objectif, nous sollicitons les ressources offertes par les nouvelles technologies qui arrivent sur le marché. Boucheron, par exemple, utilise le système de traçabilité du diamant développé en partenariat avec Sarine technologies pour sa collection Étoile de Paris lancée en 2022. C’est le certificat de traçabilité le plus avancé et le plus fiable au monde. Une plateforme numérique interactive invite les clients à retracer le parcours de leur pierre précieuse à chaque étape de son cycle de vie. Le joaillier utilise également l’outil d’aide à la décision EPL (Environnemental Profil and Loss) développé par le groupe Kering pour mesurer l’impact environnemental des différents échelons de la chaîne de valeur et le traduire en valeur monétaire pour mieux comprendre le coût sociétal réel de la production. Cela permet à la Maison de mettre en place des solutions ciblées et d’allouer des investissements aux domaines qui le requièrent le plus. Ce qui est primordial pour la suite, c’est de pouvoir disposer d’une technologie qui puisse être utilisée par l’ensemble de l’industrie. Globalement, les clients regardent ce qui se passe dans le monde et ils veulent faire confiance aux marques : nous devons donc leur donner des preuves tangibles de ce que nous faisons très précisément. Les nouvelles réglementations mises en place par la directive sur les rapports de développement durable des entreprises (CSRD) vont obliger les entreprises basées dans l’UE à divulguer davantage d’informations sur l’origine de leurs matières premières, du coton à la soie en passant par le diamant. Cela changera certainement la donne lorsque ses réglementations seront pleinement mises en place l’année prochaine. »

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Un nouvel outil pour mesurer l’empreinte carbone du diamant naturel

Un verdict partagé par André Messika dont la société dispose d’une mine et d’une unité de fabrication en Namibie (où travaillent principalement des personnes en situation de handicap). Ce négociant réputé a lancé CarbonVero. Créé en partenariat avec Sarine Technologies et The Carbon Trust, ce nouvel outil – qui mesure l’empreinte carbone des diamants naturels – sera utilisé dorénavant pour toutes les pierres namibiennes (de 0,25 carat et plus) taillées et polies dans l’usine de la société André Messika Ltd. Concrètement, ce certificat CarbonVero collecte les données – recueillies grâce à des équipements dernier cri – sur les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’énergie produites à chaque étape de la fabrication du diamant, de la mine à la taille. « En tant que responsable d’une installation intégrée verticalement, j’ai bon espoir que cette solution sera utilisée par d’autres entreprises à l’avenir. Divulguer l’empreinte carbone de notre production éclaire les décisionnaires et les consommateurs. L’objectif est d’inciter l’ensemble de l’industrie à redoubler d’efforts pour réduire cette consommation. Nous entrons, j’en suis persuadé, dans une nouvelle ère de transparence. »

Une déclaration à la hauteur des enjeux : « L’industrie du diamant naturel, affirme Kristina Buckley Kayel, directrice générale du NDC, fournit des moyens de subsistance et de bien-être à 10 millions de personnes dans le monde. » Certes, mais tout n’est pas rose dans ce secteur, loin de là.

dmp



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Theo Lefevre

Dans le vaste océan du cyberespace, je suis Théo Lefèvre, un Journaliste Web captivé par les histoires qui se tissent à travers les fils numériques. Mon parcours à l'Université Américaine de Paris a façonné ma plume, tandis que mes curiosités se dévoilent à travers la science et la technologie, le monde des affaires, et l'athlétisme. Porté par mon passé de passionné de sport et d'économie, chaque article que je compose est un reflet transparent de mon engagement envers l'authenticité. Joignez-vous à moi pour explorer les méandres de l'innovation scientifique, les intrications du monde des affaires et les défis du terrain d'athlétisme, tout en partageant un voyage honnête et stimulant à travers mes écrits.

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