Mai Zetterling, pionnière du cinéma féministe – Radio France

“Quand j’ai commencé il y a environ 12 ans, je me considérais avant tout comme cinéaste. Et maintenant ce qui compte davantage pour moi c’est d’être d’abord une femme avant d’être un metteur en scène”, confie Mai Zetterling en 1975 dans l’émission consacrée au cinéma sur France 3.
40 ans plus tôt, c’est devant la caméra que Mai Zetterling commence sa carrière. Elle se fait connaître dans “Tourments” un film écrit par le futur
réalisateur suédois Ingmar Bergman. Elle y joue le rôle de Bertha, une jeune fille ivre et désespérée sauvée par un jeune homme.
D’actrice à réalisatrice féministe
Dans les années 1960, elle décide de passer derrière la caméra. Son métier d’actrice ne la satisfait plus. Surtout, elle déplore la manière dont
les femmes sont filmées par les hommes cinéastes. Ce qu’on appelle “le male gaze”, un concept formulé par
la réalisatrice Laura Mulvey en 1975. “Le regard sur les femmes est très important au cinéma, plaide Mai Zetterling*. Jusqu’ici habituellement les femmes présentées par les films sont soit des jolies secrétaires, soit des prostituées, soit des mères de famille et des épouses horriblement ennuyeuses.”*
Ces stéréotypes, la réalisatrice les combat dans ses films. “Je pense que tout ça doit changer parce que les femmes deviennent maintenant plus fortes, plus puissantes et aussi plus intéressantes et il faut montrer ce changement et cette évolution dans les films. Parce que la femme comme objet sexuel, avouez que c’est triste et tellement limité.”
Son premier film “Les Amoureux” met en scène le destin de trois femmes sur le point d’accoucher à la veille de la
Première Guerre mondiale. Elle y raconte de manière crue la maternité, la sexualité et le mariage. Présenté en compétition officielle au
Festival de Cannes en 1965, le film a “bousculé” les spectateurs à cause de certaines scènes de nudité, comme le rapporte
le critique du journal Le Monde.
Influencée par les codes de
la Nouvelle vague, Mai Zetterling entremêle théâtre et vie réelle dans “Les Filles”. Trois actrices de théâtre voient une mise en abyme de la pièce qu’elles jouent, une farce antique, et de leur quotidien régi par la domination masculine. Ce qui les pousse à engager une révolte pour défendre leurs droits. “J’ai montré des femmes travaillant ensemble vers un même but”, appuie-t-elle, toujours dans son interview de 1975 pour la télévision française.
“Évidemment j’aurais pu me marier mais j’aime pas ça l’esclavage moi !”
Mai Zetterling est inspirée par toutes les femmes. Sa rencontre avec Lucienne Grivot, une ancienne ouvrière, célibataire peu conformiste pour l’époque, lui a donné l’idée de faire un documentaire sur elle. “Moi je ne suis pas mariée parce qu’à la guerre de 1914 j’avais 20 ans, alors ça a tout arrêté les mariages, je suis restée toute seule, je ne souffre pas du tout de la solitude”, assure Lucienne Grivot dans une discussion avec Mai Zetterling, filmée par la réalisatrice Michèle Rosier.
Dans la fiction, leurs conversations sont mises en scène avec Madeleine Bouchez dans le rôle de Lucienne Grivot. “Pourquoi on m’appelle madame ? Moi je suis une demoiselle, évidemment j’aurais pu me marier mais j’aime pas ça l’esclavage moi”, lance-t-elle tout en nourrissant les oiseaux du jardin.
Le regard inédit et décalé de Mai Zetterling lui donne une place importante dans le bouillonnement du
mouvement féministe des années 1970.
Simone de Beauvoir l’a choisie pour adapter
son roman Le Deuxième Sexe, sorti en 1949. “Ce livre a été très important pour moi comme pour beaucoup de femmes, confie Mai Zetterling*, et c’est devenu une sorte de bible que l’on cite dans tous les ouvrages consacrés aux femmes aujourd’hui.”*
Mais le film ne verra finalement jamais le jour faute de financement. Ce qui la pousse à créer l’Association Internationale des femmes cinéastes, aux côtés d’autres grandes réalisatrices, comme
Agnès Varda. Mai Zetterling meurt en 1994 d’un cancer à Londres, laissant derrière des œuvres tombées dans l’oubli.