Trop vieux pour le dépistage ? – L’actualité

L’auteur est gériatre, épidémiologiste et chercheur au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Il est aussi l’un des cofondateurs et l’expert médical de l’entreprise Eugeria, qui s’est donné pour mission d’améliorer le quotidien des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Si vous êtes une femme de 55 ans, votre médecin de famille vous proposera de faire les tests de dépistage des cancers du col de l’utérus, du sein, du côlon et même du poumon, si vous avez fumé pendant plus de 20 ans. Mais à 75 ans, alors que le risque de cancer augmente avec l’âge, il ne vous en suggérera… aucun.
Cela peut paraître surprenant et quelque peu préoccupant. Or, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. L’arrêt du dépistage des cancers à un certain âge s’appuie sur les meilleures données probantes actuelles. À la lumière de celles-ci, proposer les mêmes programmes de dépistage à 75 ans et à 55 ans causerait plus de préjudices que de bienfaits. Pourquoi ? Il faut d’abord savoir que, de manière générale, dans la population âgée de 80 ans et plus, le nombre de nouveaux cas de cancer tend plutôt à se stabiliser ou à ralentir.
Ensuite, traiter un patient pour un cancer qui n’aurait de toute façon pas diminué son espérance de vie entraîne des effets secondaires et le fait souffrir inutilement, sans gain réel pour sa santé. Le bénéfice escompté du décèlement plus tôt d’une lésion précancéreuse ou d’un cancer à un stade précoce, grâce au dépistage, est en effet une différence clé entre jeunes et vieux. Quand on est jeune et qu’on a plusieurs décennies devant soi, une lésion précancéreuse aura le temps de se développer et de compromettre notre santé — d’où l’intérêt de la détecter précocement. Toutefois, si on est plus âgé et que notre espérance de vie est limitée, il est fort possible que cette même lésion n’ait pas le temps de nuire avant notre décès. On estime par exemple qu’il faut environ 10 ans à une lésion du côlon pour devenir un cancer : il est donc peu utile de continuer à faire le dépistage de ce cancer à 90 ans, alors que l’espérance de vie est de trois à cinq ans.
L’idée centrale est que de nombreuses pathologies mettent du temps à se développer, que les bienfaits d’une action sur ces pathologies prennent du temps à se matérialiser (on évite un décès qui serait survenu 10 ans plus tard) et que, souvent, ce temps excède l’espérance de vie.
Une équipe de l’Université de Californie à San Francisco a créé un outil en ligne très intéressant pour aider les patients et les médecins à décider dans quels cas une intervention en vaut la peine. Cet outil, ePrognosis, montre par exemple qu’il faut avoir une espérance de vie d’encore au moins 10 ans et demi pour que ce soit utile de passer une mammographie.
À la question usuelle « Vais-je bénéficier de cette intervention ? », opposant bénéfices et risques, s’ajoute donc la question « Quand vais-je en voir les bénéfices ? ». Si la réponse la plus probable est « jamais », alors il est plus sage de renoncer à cette intervention ! En termes épidémiologiques, on dira que le « risque concurrent de mortalité » contrecarre le bénéfice du dépistage. Ultimement, notre corps est la combinaison de tous nos organes : se focaliser sur un seul organe ou une seule maladie sans égard au reste du corps, qui se fragilise à cause du vieillissement ou d’autres maladies, n’améliorera pas notre santé ni notre qualité de vie.
Dépister ou traiter ?
Notons maintenant la distinction entre le calcul du rapport bénéfices/risques pour traiter un cancer diagnostiqué (qui est bel et bien là) et le calcul pour dépister un cancer (qui pourrait être présent ou absent). Les bénéfices escomptés, et donc l’acceptabilité des risques qui les accompagnent, seront plus grands dans les situations où l’approche est curative plutôt que préventive. Autrement dit, qu’on soit jeune ou vieux, on sera prêt à accepter les risques inhérents au traitement d’une maladie dont on se sait atteint, mais on acceptera moins les risques associés au dépistage d’une maladie hypothétique. Et c’est encore plus vrai quand on avance en âge.
Âge ou espérance de vie prédite ? Une décision commune
On sait tous que l’âge de décès varie grandement d’une personne à l’autre. Dès lors, plutôt que de considérer de façon inflexible les seuils d’âge proposés par le Collège des médecins pour cesser le dépistage, il y a lieu de les personnaliser davantage en fonction d’autres informations afin de raffiner l’estimation de l’espérance de vie individuelle.
Personne, médecins inclus, n’a de boule de cristal ! Néanmoins, en ajoutant à l’âge des variables comme les habitudes de vie, la présence ou non de maladies chroniques et le niveau d’autonomie et de mobilité, on arrive à préciser un peu mieux l’espérance de vie. Ce n’est pas uniquement le nombre d’années qui augmente le risque de mortalité, mais bien tout ce qui vient avec ces années. Lorsque l’espérance de vie est nettement plus longue ou plus courte que le délai attendu pour bénéficier d’un dépistage ou d’une intervention, la décision de l’effectuer ou d’y renoncer est simple. Lorsqu’il tombe dans une zone grise, c’est là qu’une discussion s’impose entre le patient et le médecin pour choisir la voie qui respectera le plus les valeurs et les volontés du patient. Est-ce que subir une coloscopie et le désagrément de la préparation vaut un bénéfice possible, mais très incertain ? Selon leur âge (réel et perçu !), leur qualité de vie et surtout où ils en sont dans leur vie, certains de mes patients opteront pour tout ce qui peut donner une chance de prolonger la vie, alors que d’autres choisiront plutôt la voie inverse.
Ce n’est pas une discussion facile ou agréable, mais elle est importante et utile. Car en médecine et en matière de dépistage, la prévention n’est pas sans risque. Et parfois, faire moins, c’est faire mieux.
Les recommandations relatives au dépistage du cancer selon l’âge
La mise à jour d’avril 2023 de la Fiche de prévention clinique du Collège des médecins du Québec recommande les dépistages généraux suivants pour le cancer :
- Pour les femmes de 21 à 65 ans : cancer du col de l’utérus
- Pour les femmes de 50 à 69 ans : cancer du sein
- Pour les femmes et les hommes de 50 à 74 ans : cancer colorectal
- Pour les femmes et les hommes de 55 à 74 ans ayant fumé plus de 20 ans : cancer du poumon
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