Pourquoi l’intelligence artificielle menace davantage les emplois … – Le Parisien

Si l’intelligence artificielle (IA) va permettre d’alléger nos métiers, elle pourrait également rendre difficile l’accès au travail. L’automatisation des tâches va changer notre manière de travailler, au total plus de 12 millions de personnes vont devoir s’y adapter. Mais tout le monde ne va pas être impacté de la même manière. Fin juillet, un rapport du McKinsey Global Institute, mis en avant par le magazine Quartz, estimait que « les femmes sont 1,5 fois plus susceptibles que les hommes de devoir changer d’emploi ».
Selon le rapport, la plupart des métiers administratifs, de bureau ou les services à la clientèle diminueront avec l’automatisation des tâches. Le dossier précise aussi que « les personnes occupant des emplois à bas salaires sont jusqu’à 14 fois plus susceptibles de devoir changer de profession ». Mais ces emplois sont en majeure partie occupés par des femmes.
Plusieurs biais dans la conception des IA
Comment les IA peuvent désavantager un type de population ? Actuellement, la plupart de ces technologies utilisées par les entreprises ou les particuliers fonctionnent grâce à des systèmes de données. Ces dernières vont servir d’exemples et vont leur permettre d’apprendre.
« Mais les données statistiques ne sont pas indemnes de biais », souffle Virginie Mathivet, fondatrice d’une société de conseil dans l’usage des IA. Si le corpus de données n’est pas assez représentatif, le logiciel peut engendrer des discriminations. « Par exemple, en 2017, Amazon a constaté en utilisant cette technologie pour leur recrutement, que les femmes n’étaient pas retenues. Elles n’étaient pas assez nombreuses parmi les employés et la machine en a conclu qu’être un homme était un critère positif », précise-t-elle.
Un autre biais vient des personnes qui entraînent les IA. « Avant d’être mises à disposition, les technologies comme ChatGPT sont pré-entraînées à la main », informe Antonio Casilli, sociologue spécialisé dans les usages du numérique à Polytechnique. Mais selon les personnes, leur catégorie socioprofessionnelle et leur état de fatigue, les logiciels peuvent intégrer des discriminations.
Dernier problème : les concepteurs. « Les hommes restent largement majoritaires dans l’informatique et cela ne bouge pas ces dernières années », regrette Virginie Mathivet, qui étudie les IA depuis vingt ans. Les logiciels sont donc conçus à partir d’une vision majoritairement masculine. Bonne nouvelle : pour contrer ces biais, une réglementation européenne est actuellement discutée au parlement. Mais du côté des emplois qui vont pâtir de la généralisation de l’IA, rien n’est prévu pour l’instant.
Les femmes ont 1,5 fois plus de chances d’être touchées
« On peut lire ce type d’étude autrement : les employeurs risquent de licencier plus de personnes avec l’automatisation des tâches et les femmes ont 1,5 fois plus de chances d’être touchées », souffle le sociologue Antonio Casilli. Elles sont majoritaires dans les emplois partiels et précaires. Les IA ne vont pas remplacer des métiers, mais des tâches répétitives et automatiques. « Les métiers de petites mains, souvent automatisables, sont généralement exercés par des femmes », soupire Virginie Mathivet, spécialiste dans l’utilisation des IA, « c’est une double peine pour elles. »
Aux États-Unis, près d’un tiers des heures pourrait être automatisées d’ici à 2030 selon l’étude de McKinsey Global Institute. Mais « le risque est moindre en France, car le marché du travail est différent », distingue Antonio Casilli. D’autant plus qu’en rétablissant un équilibre dans le monde du travail, les discriminations de genre pourraient s’amoindrir. « Les métiers réservés aux femmes n’existent pas, insiste Virginie Mathivet. En étant moins contraintes de travailler à temps partiel, elles pourraient accéder à d’autres professions et utiliser l’IA comme un outil. »