Criminalité

Une rentrée littéraire contre les tyrans – Les Inrockuptibles


Neige Sinno, Maria Pourchet et Chloé Delaume : une découverte et deux écrivaines déjà remarquées, mais qui prennent définitivement une place de premier plan sur la scène littéraire française.

Si nous les avons choisies comme figures de proue de notre numéro, c’est parce que leurs textes sont emblématiques d’une rentrée profondément travaillée par les changements de paradigme à l’œuvre dans notre société. Ancrés dans les débats les plus contemporains, leurs textes décortiquent, analysent, épuisent en la pensant, ou en s’en moquant, ou en s’élevant au-dessus, toute forme de doxa, celle du monde ancien comme celle de celui qui est en train d’apparaître. Elles participent à la conversation féministe du moment, mais les réduire au thème du patriarcat serait allé trop vite.

Si chacune d’entre elles s’y attaque à sa façon, leur écriture, leurs enjeux vont au-delà en abordant ce que nombre d’entre nous, hommes et femmes, ne peuvent plus supporter : la tyrannie. Cette rentrée est marquée par l’interrogation du soi à l’aune de la domination exercée par un pouvoir, qu’il soit individuel ou organisé en système. Qu’il s’agisse de tyrannies politiques, idéologiques ou religieuses, jamais autant de romans publiés au même moment n’auront aussi bien interrogé l’impact de celles-ci, minuscules ou monstrueuses, insidieuses ou brutalement criminelles, sur soi en tant qu’individu, sur la formation de sa personnalité, de son parcours, de son intimité, de sa vie amoureuse, bref ce qui jusque-là restait assez peu interrogé à travers ce prisme : la vie privée. La littérature représente bel et bien ce lieu d’un affranchissement où exercer une pensée complexe, trouver le mot juste pour nommer la violence pour ce qu’elle est, et non plus pour ce qu’on aimerait nous faire croire. Ce qui s’exprime ici et maintenant, c’est ce désir de ne plus être les dupes des diktats, fabriqués et véhiculés à coups de récits.

Imogen Binnie, autrice trans, met en scène la vie d’une femme trans à rebours des poncifs dans lesquels on les enferme. Salman Rushdie montre comment les hommes manipulent les idéologies pour asseoir leur domination politique, tandis qu’Éric Reinhardt transpose ce régime à l’espace privé du couple et en donne à lire les ravages mortifères. Nombre de premiers romans (ils sont excellents) portent sur des personnages déconstruisant leurs origines – ethniques, sociales, familiales – pour ne plus en être les jouets. À travers son nouveau livre, éminemment politique, l’Américain David Grann prouve combien ce sont avec des narrations qu’on manipule les esprits pour mieux régner, sur un seul être ou toute une nation. L’essence résistante de la littérature, c’est sa capacité à produire des contre-récits. Pas étonnant qu’un Vincent Bolloré veuille mettre la main sur l’édition, la librairie et la presse. Or “ce sont les institutions qui nous aident à préserver la dignité”, écrit Timothy Snyder dans De la tyrannie. Vingt leçons du XXe siècle. Défendons ces institutions-là.

(article tiré de l’édito des Inrockuptibles n° 23 _ septembre 2023)



Source link

Elodie Dumas

Bonjour, je suis Elodie Dumas, une rédactrice d'articles en ligne qui dévoile le monde à travers ses mots. Ma formation à l'École Centrale de Nantes a façonné ma plume et éveillé ma passion pour l'écriture. Je parcours la toile avec des récits internationaux, explorant la culture, la société, et le monde du crime. Passionnée de sport et de voyages, j'explore aussi les coins les plus reculés. Mon engagement envers la transparence guide chacun de mes articles, apportant une authentique lumière à chaque sujet. Rejoignez-moi dans cette aventure où les mots peignent des images vives de cultures lointaines, de mystères criminels et d'horizons lointains.

Related Articles

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Back to top button