« The Highwaymen », sur Netflix : une réécriture grave et funèbre du … – Le Monde

NETFLIX – À LA DEMANDE – FILM
Clyde Barrow n’a jamais eu le temps de sortir de sa Ford V8, le 23 mai 1934. La troupe de policiers qui les attendait, lui et Bonnie Parker, a ouvert le feu sur la voiture arrêtée du couple, avant que les deux fuyards ne puissent esquisser un geste.
A l’aune de l’exactitude historique, The Highwaymen l’emporte donc sur Bonnie et Clyde, le film d’Arthur Penn qui ouvrit, en 1967, l’ère du Nouvel Hollywood. Selon cette précédente version de la balade du couple de braqueurs, Clyde (Warren Beatty) a été abattu à quelques mètres de Bonnie (Faye Dunaway). Les photos prises après leur mort les montrent l’un sur l’autre, à l’avant de la voiture, et c’est cette image qui a guidé John Lee Hancock dans son entreprise de réécriture d’un mythe américain.
Sur un scénario de John Fusco, le cinéaste a fait de Bonnie et Clyde deux silhouettes à l’écart desquelles il tient soigneusement sa caméra. Il préfère qu’elle suive obstinément les efforts de deux anciens Texas Rangers, Frank Hamer (Kevin Costner) et Maney Gault (Woody Harrelson), pour éliminer le couple devenu objet d’un culte populaire. Puisqu’on est au cinéma, on pourrait invoquer la nécessité du contrechamp. Mais on est aussi à Hollywood, au cœur du star-système. Le statut des interprètes fait automatiquement d’eux des héros.
Hommes imparfaits
Après que Barrow a organisé dans le sang une évasion du bagne texan d’Eastham, le directeur de l’administration pénitentiaire obtient de la gouverneure de l’Etat que l’on confie la traque de Bonnie, Clyde et leurs complices à des hommes chargés d’abattre les fugitifs plutôt que de les appréhender. Pour tout viatique judiciaire, ils sont affectés à la police de la route (d’où le titre du film). C’est ainsi que Gault et Hamer sont tirés de leur retraite, et c’est ici que commence la fiction.
The Highwaymen oppose l’inflexibilité du premier à l’humanité du second. Ce qui correspond aux registres respectifs de Costner et d’Harrelson. C’est aussi un moyen de resservir un discours presque aussi vieux que le cinéma américain : ces hommes sont imparfaits, ils trimballent de terribles souvenirs, mais ils sont le seul rempart du reste de la société contre les dangers mortels que représentent des tueurs comme Bonnie et Clyde. S’ils pèchent, c’est pour notre salut. Et, en plus, nous ne le méritons pas : deux séquences montrent la foule sous son jour le plus abject, qui fête les hors-la-loi à l’occasion d’une incursion en ville, et dépouille leurs cadavres après qu’ils ont été abattus.
Cette vision autoritaire et pessimiste du monde, mise en scène avec une gravité qui confine souvent à la lourdeur, confère au film un ton funèbre, encore accentué par l’unique expression – entre gravité et écœurement – qu’affecte Kevin Costner tout au long du film. C’est le négatif exact du film dionysiaque, ambigu, d’Arthur Penn. Il s’agit d’enterrer une bonne fois pour toutes Bonnie et Clyde, et de faire en sorte que personne ne vienne fleurir leurs tombes.
The Highwaymen, film de John Lee Hancock (EU, 2019, 132 min). Avec Kevin Costner, Woody Harrelson, Kathy Bates, Thomas Mann. Disponible à la demande sur Netflix.