Derrière le secret des pertes militaires en Ukraine, un massacre à … – Le Monde

Le nombre de soldats tués ou blessés est l’un des secrets les mieux gardés depuis le début de l’invasion russe en Ukraine. Dans chaque conflit, surestimer les pertes infligées à l’ennemi et minimiser les siennes est un grand classique. Celui-ci ne déroge pas à la règle : pas question de livrer cette information sensible à l’adversaire, ni de démoraliser la population.
Du côté ukrainien, le ministère de la défense communique ainsi volontiers sur le nombre de Russes neutralisés en fournissant un bilan quotidien, mais garde le silence sur ses propres pertes. Au 22 août, il chiffrait à 258 340 le nombre de soldats russes « liquidés » depuis le début de l’invasion, le 24 février 2022 – sans préciser s’il inclut les blessés. Du côté russe, aucun bilan officiel n’a été communiqué depuis près d’un an. Le dernier, en septembre 2022, fait état de 5 937 morts. Un chiffre que les analystes jugent largement sous-estimé.
Faute de décompte fiable, organismes internationaux, médias et alliés s’efforcent, depuis dix-huit mois, de faire leurs propres calculs, offrant des estimations très disparates. La dernière en date émane d’officiels américains cités, sous le couvert de l’anonymat, par le New York Times le 21 août. Ils évaluent à 500 000 le nombre de militaires tués et blessés dans les deux camps depuis février 2022.
Acte de défi
Dans le détail, la Russie compterait 120 000 morts (sur 300 000 victimes) et l’Ukraine 70 000 morts (sur 200 000). Les pertes ont brusquement augmenté depuis l’hiver dernier, lors de la bataille de Bakhmout. Des centaines de soldats ont été tués ou blessés chaque jour, plusieurs semaines durant, selon ces responsables américains. Si les Russes ont subi de nombreuses pertes, les Ukrainiens ont eux aussi payé un lourd tribut en tentant de tenir chaque centimètre de territoire avant de perdre le contrôle de la ville en mai.
La précédente estimation publique de l’administration Biden datait de novembre 2022. Le chef d’état-major américain, Mark Milley, avait chiffré à plus de 100 000 les soldats tués ou blessés de chaque côté depuis le début de l’invasion. Il évaluait, en outre, à 40 000 le nombre des civils ukrainiens tués. De son côté, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme dénombre, dans un rapport publié en juillet, 26 015 victimes civiles (9 369 morts et 16 646 blessés) depuis février 2022. Il prévient toutefois qu’il ne s’agit que de cas vérifiés et que les chiffres réels pourraient être « bien supérieurs ».
En Russie, documenter les morts est si sensible que c’est devenu un acte de défi. Les informations sur les pertes militaires sont réprimées, selon les militants des droits de l’homme et les journalistes indépendants. Ceux qui le font s’exposent à du harcèlement et à de potentielles accusations criminelles. Deux médias russes indépendants, Mediazona et Meduza, ont malgré tout enquêté avec le statisticien Dmitry Kobak et la BBC pour tenter d’évaluer, en juillet, le « vrai nombre de Russes tués ». En étudiant les nécrologies, la surmortalité et les dossiers du registre national des successions, ils estiment à 47 000 le nombre d’hommes russes de moins de 50 ans morts en quinze mois de guerre en Ukraine (jusqu’en mai).
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