Kimberley, dans « l’Antarctique des tropiques » – Bigge Island, un … – Le Point

Surnommé « l’Antarctique des tropiques », le Kimberley, au nord-ouest de l’Australie, île-continent qui s’est détachée de l’Antarctique il y a 50 millions d’années, est l’une des régions les plus sauvages du monde, cernée par des milliers d’îles, imprégnée d’une histoire passionnante, des récits de l’épopée perlière aux histoires du paysage millénaire. Le Point était à bord du voilier Le Ponant, le yacht emblématique de la compagnie de croisière de luxe et d’expédition en mer du même nom, propriété du groupe Artémis, holding de la famille Pinault, qui possède Le Point. Carnet de voyage.
C‘est une perle qui fait bande à part, une pièce qui, il y a 40 000 ans, avant la dernière période glaciaire, était soudée au continent. Un confetti de 178 km² où la Terre soliloque, superbement ignorée des hommes. Le paysage de Bigge Island, plus grande des îles de l’archipel Bonaparte, est typique de l’outback australien. Des rochers escarpés, du grès altéré, des roches volcaniques et du quartz se mélangent dans des tons rouges plus ou moins prononcés.
On y trouve une faune en grande partie identique à celle du continent. Mais comme il s’agit d’une île, les espèces invasives et sauvages n’y ont pas pénétré. Quelqu’un croit apercevoir un monjon, petite espèce rare de wallaby des rochers, de couleur gris fauve et pesant moins de 1,5 kg, soit la moitié du poids d’un chihuahua. Ces marsupiaux sont la proie des oiseaux, des serpents et des dingos. Leur habitat préféré est le grès très fracturé, avec d’abondantes grottes, fissures et crevasses à entrées multiples dans lesquelles ils peuvent disparaître au premier danger. Même s’ils sont actifs la nuit, sur Bigge Island, il y a toujours une chance d’en apercevoir un en train de roupiller à l’ombre d’une crevasse ou de s’échapper accidentellement de son refuge diurne à l’approche d’un site d’art rupestre.
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Bigge Island a été nommée ainsi en l’honneur de Thomas Bigge, un commissaire de la Nouvelle-Galles du Sud, envoyé par le ministère des Colonies à Londres pour enquêter sur les affaires de la colonie naissante de Sydney. Il n’a jamais vu cette partie du monde mais la mode parmi les explorateurs et les découvreurs de noms était d’essayer d’obtenir la faveur de ceux qui étaient au pouvoir. Au sommet d’une ligne incurvée de rochers soigneusement placés, on découvre un lieu de cérémonie pour les affaires des hommes. De là, sous une blanche lumière, les corps ruisselants, l’esprit alangui et vaporeux, nous atteignons l’entrée d’une grotte de grès où se trouve la merveille : des représentations de l’art wandjina, mouvement de peinture sacrée vieux de 4 000 ans, qui montre des êtres ancestraux ayant voyagé dans cette région.
À LIRE AUSSIÉvasion – Un air de rural chicLes Wandjinas auraient été engendrés par Ungud, le Serpent arc-en-ciel, afin de continuer la création du monde qu’il avait commencé pendant le Temps du rêve. Ils ont une forme humaine, avec de grands yeux, un petit nez fin et un visage rond. Leur corps est recouvert de marques blanches symbolisant la pluie. Ils ne possèdent pas de bouche car il s’agit d’entités redoutables qui n’ont pas besoin de parler. Si elles parlaient, elles seraient trop puissantes. Leur tête est entourée d’une sorte de halo, une auréole qui fait penser à une coiffe, qui représente en fait les nuages, nous dit-on, car les Wandjinas sont responsables de l’arrivée des pluies pendant la saison humide, et donc de toute la création.
Nous entrons dans la grotte en débarrassant nos corps en sueur de nos sacs à dos et en ôtant nos chapeaux, afin de ne pas érafler les murs et l’art ancien. Nous sommes émerveillés par un énorme serpent qui ondule au-dessus de nos têtes, des figures Wandjina fumant des pipes, des empreintes de mains ocre et un bateau rempli de personnes portant des couvre-chefs avec des attaches au cou et des serrures de rames, image qui dépeint le premier contact de cette région avec les grands voiliers européens. Nous ne saurons probablement jamais s’il s’agit de marins hollandais, anglais ou portugais des années 1600, ou de marins français du début des années 1800. Quoi qu’il en soit, ces images sont la preuve que les populations côtières du Kimberley ne vivaient pas dans l’isolement, comme on l’a cru longtemps, mais participaient activement au commerce et aux interactions culturelles.
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De nombreux itinéraires combinent une excursion à Bigge Island et à Careening Bay, qui doit son nom à des événements historiques survenus en 1820. Cette année-là, le lieutenant Philip Parker King, qui en était à son troisième voyage pour cartographier la côte de l’Australie occidentale, a eu des ennuis. Son bateau, The Mermaid, commençait à prendre l’eau. En attendant les bonnes conditions de marée, il accosta sur la plage et put réparer son vaisseau grâce au métal récupéré sur les épaves de bateaux. Pendant les dix jours qu’a duré l’entretien, le charpentier du navire a trouvé un baobab et gravé « HMC Mermaid 1820 » sur le tronc. Près de 200 ans plus tard, l’inscription a atteint 12 mètres de haut.
Cet arbre particulier au tronc épais et aux feuilles peu nombreuses attirait manifestement les visiteurs à l’époque, puisqu’on trouve également à l’arrière du baobab une ancienne alcôve de prière makassar, peuple de pêcheurs musulmans de l’actuelle Indonésie qui ont établi au XVIIIe siècle des relations avec les aborigènes du nord de l’Australie pour le commerce du concombre de mer. L’atmosphère est toujours aussi suffocante. Les passagers n’attendent qu’une chose : se mettre au frais. Une surprise se prépare justement à deux pas : un goûter dans l’ombre d’une grotte illuminée de bougies, loin de la foule humaine.
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