L’hommage du général Lecointre au général Georgelin – Paris Match

“Le général Georgelin comptait beaucoup pour moi. Nous avions, au-delà des rapports hiérarchiques, une relation faite, pour ma part, de respect, de franchise, d’admiration et, je le crois, de complicité intellectuelle. Nous avons eu tout au long de ma carrière des contacts réguliers. Ainsi, lorsque j’étais chef d’état-major des armées, je le recevais à déjeuner tous les trois mois environ. Et plus fréquemment encore lorsque je suis devenu grand chancelier de la Légion d’honneur, poste qu’il avait lui aussi occupé. Je suis toujours sorti renforcé de nos échanges.
Sa grande force procédait de l’exigence de réflexion qu’il s’imposait, nourrie d’une grande culture historique et politique, afin de prendre la pleine mesure du rôle des entités au sein desquelles il servait. De cette réflexion constante découlaient à la fois une conception très cohérente de la façon dont il devait présider aux destinées de l’institution qu’il commandait et une vision large de sa mission au service de la nation. Je crois que c’est un officier qui ne s’est jamais contenté de faire fonctionner au mieux. Chaque mission représentait un engagement total, intellectuel, psychologique, affectif. Spirituel aussi sans doute.
Grand chancelier de la Légion d’honneur
La façon dont il a commandé les armées, et su les préserver du pire des réformes très importantes conduites durant ses années de chef d’état-major, constitue l’exemple le plus abouti de cet aspect fondamentalement vocationnel de sa personnalité. Il connaissait parfaitement l’histoire de nos armées durant la période contemporaine, et les évolutions successives de l’appareil militaire et de son commandement. Il a développé une vision générale de ce que doit être la place de l’institution militaire dans l’État, dont le chef est aussi chef des armées et sur lequel repose la terrible responsabilité du feu nucléaire.
Cette réalité politique et militaire est au cœur des équilibres de notre Constitution. C’est aussi le résultat d’évolutions historiques qui confèrent aujourd’hui encore à notre pays un rôle singulier dans le jeu des relations internationales. Le général a su préserver ces équilibres. Il l’a fait courageusement, en entraînant l’adhésion du politique par la force de ses arguments. Grand chancelier de la Légion d’honneur, il s’est engagé avec la même force, développant une conception large de ce que doit être une politique de reconnaissance des mérites au sein d’une société moderne, et veillant avec une attention sourcilleuse à préserver la puissance symbolique de nos ordres nationaux.
Nous partagions aussi l’amour des Pyrénées, où mon père est mort en randonnée à 52 ans. Je lui avais fait découvrir “mes” Pyrénées béarnaises, d’Aspe à Ossau en passant par le chemin de la Mâture, creusé dans la falaise à coups de barre à mine pour faire descendre des troncs d’arbres, afin de reconstruire la marine française au XVIIIe siècle.
Servir la nation et l’État était son seul moteur
Républicain convaincu, il était très attaché à la laïcité et, sans pour autant dissimuler sa foi, conservait une grande pudeur sur ce sujet. Mais cette foi ardente, ajoutée à son expérience et à sa personnalité, en faisait l’homme idoine pour présider à la reconstruction de Notre-Dame de Paris.
Hors sa spiritualité profonde, servir la nation et l’État était son seul moteur. Il menait ses actions avec beaucoup de franchise, parfois une certaine rugosité, mais cela faisait partie du personnage ! Il avait beaucoup d’humour et d’autodérision.
Dans ce milieu politique et institutionnel français, somme toute assez restreint et très cloisonné, il apportait, avec une certaine tonitruance qui lui permettait de masquer sa sensibilité, les qualités que l’on attend d’un chef militaire : une vision large, le courage et la franchise, l’humanité. Lui qui était profondément militaire a porté très haut l’image de nos armées, y compris dans ses dernières fonctions.”