Ils sont opposés aux politiques du président Erdogan et se tournent vers Allemagne. Mais leurs demandes d’asile se voient de plus en plus souvent rejetées par les autorités allemandes.
“On ne supportait plus de vivre tous les jours dans la peur et l’incertitude, de savoir que que la police pouvait venir nous sortir de votre lit pour nous emmener au poste et nous torturer. Après la mort de mon père, nous avons décidé de quitter le pays”, se souvient B.K., un ancien professeur d’anglais qui n’a pas souhaité donner son nom.
D’une voix calme et posée, il raconte comment lui et sa femme se sont lancées en novembre dernier dans la traversée de la mer Égée pour arriver en Allemagne sept semaines plus tard. Depuis, ils naviguent d’un centre d’hébergement pour réfugiés à un autre. Actuellement, le couple se trouve dans un grand centre près d’Aix-la-Chapelle, dans l’ouest de l’Allemagne.
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En Turquie, tous les deux sont accusés d’appartenir à la confrérie Gülen du religieux musulman Fethullah Gülen, qui vit aujourd’hui aux États-Unis. Ankara a classé le mouvement parmi les organisations terroristes et l’accuse d’être à l’origine de la tentative de coup d’État de 2016.
Le couple a ainsi demandé l’asile en Allemagne en juin et attend la décision du gouvernement. En cas de rejet, B.K. et sa femme se retrouveront dans l’impasse. Par peur de la répression, ils ont rompu tout contact avec leur famille après avoir été condamnés pour appartenance au mouvement Gülen. “Tout ce qui nous reste, c’est l’espoir et l’entraide”, dit B.K..
Les Turcs devant les Afghans
Selon l’Office fédéral allemand des migrations et des réfugiés (BAMF), plus de 23 000 citoyens turcs ont demandé l’asile dans le pays depuis le début de l’année, soit une augmentation de 203 % par rapport à la même période l’année dernière.
En juillet, 3 791 citoyens turcs ont fait une demande d’asile, dépassant ainsi les ressortissants afghans. Seuls les Syriens ont déposé d’avantage de demandes.
Les experts de la Turquie ne sont pas surpris. Nombre d’entre eux avaient prédit cette évolution après la nouvelle victoire du président Recep Tayyip Erdogan aux élections présidentielles de mai.
“Au moins la moitié [de l’électorat] qui n’a pas voté pour Erdogan est déçue”, note Dündar Kelloglu, avocat et membre du Conseil des réfugiés de Basse-Saxe, dans les nord-ouest de l’Allemagne. Ces électeurs avaient espéré un changement de gouvernement et une amélioration de la situation politique et économique du pays.
“Même après le coup d’Etat militaire de 1980, l’ambiance n’était pas aussi pessimiste”, explique-t-il, alors que la situation politique actuelle reste très tendue et que la persécution des figures de l’opposition se poursuit sans relâche.
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Depuis la tentative de coup d’État de 2016, le gouvernement turc réprime encore plus durement ses détracteurs. Des milliers de membres de l’opposition ont été emprisonnés et plusieurs milliers ont perdu leur emploi après avoir été accusés de terrorisme. Ceux qui sont à la recherche d’un emploi, que ce soit dans la fonction publique ou même dans une grande partie du secteur privé, ont intérêt à voir des liens avec le parti au pouvoir ou avec des fondations religieuses qui soutiennent Erdogan.
De plus, selon Yasar Aydin, de l’Institut allemand de recherche internationales et de sécurité (SWP), avec la crise économique que traverse le pays, les perspectives pour les personnes diplômées, en particulier, s’assombrissent de jour en jour, a-t-il ajouté. Ceux qui ne voient plus d’avenir décent en Turquie se dirigent ainsi vers l’Allemagne.
Une situation économique catastrophique
La situation économique de le Turquie s’est drastiquement détériorée ces deux dernières années. Une grande partie de la population est tombée dansé dans la pauvreté. La politique de faibles taux d’intérêt menée par le pouvoir a entraîné une chute de la monnaie et une inflation galopante. La hausse des prix pourrait atteindre 58 % d’ici la fin de l’année selon la Banque centrale turque. C’est le double des précédentes projections faites par l’institution.
Recep Tayyip Erdogan a promis des améliorations après sa réélection et espère maîtriser la situation avant les élections locales prévues au printemps 2024. L’objectif du président est de reprendre à l’opposition la capitale Ankara et d’autres grandes villes, dont Istanbul, Izmir et Antalya, qui représentent la majeure partie du PIB de la Turquie.
L’Allemagne, une destination privilégier pour les Turcs
L’Allemagne compte déjà quelque 3 millions de personnes d’origine turque et est ainsi une destination privilégiée pour ceux qui fuient la Turquie pour des raisons économiques ou politiques. Les réseaux familiaux ou d’amis facilitent leur arrivée et intégration. De nombreux Turcs immigrent également par des voies irrégulières.
En 2021, 7 067 citoyens turcs ont demandé l’asile en Allemagne. En 2022, ce nombre a plus que triplé, atteignant 23 938 demandes d’asile. Cette année, la barre des 23 000 demandes a été franchie en juillet.
Yasar Aydin prévoit que le nombre de Turcs arrivant en Allemagne restera élevé au cours des prochaines années. “L’évolution de la situation politique et les difficultés économiques imminentes laissent penser que la migration en provenance de Turquie se poursuivra”, assure le chercheur.
Baisse du taux de protection
Toutefois, si le nombre de demandes a augmenté, le nombre de Turcs ayant obtenu l’asile en Allemagne a chuté ces dernières années. En 2022, 27,8 % des demandes ont été acceptées. Pour l’année en cours, ce taux est tombé à seulement 15 %.
Les raisons de cette baisse ne sont pas claires. L’Office allemand pour la migration et les réfugiés (BAMF) assure examiner chaque demande d’asile individuellement, tout en tenant compte des développements politiques et sociaux dans les pays d’origine. Dans le même temps, le BAMF n’a pas noté officiellement une amélioration dans la situation des droits de l’homme et l’État de droit en Turquie, ce qui aurait pu être l’un des arguments pour expliquer cette baisse du taux de protection.
Selon Dündar Kelloglu, du Conseil des réfugiés de Basse-Saxe, le BAMF semble néanmoins avoir modifié son évaluation du pays. Si auparavant l’asile était accordé aux personnes persécutées pour des raisons politiques ou qui risquaient d’être emprisonnées, désormais l’asile n’est accordé qu’aux personnes condamnées à une peine de prison. Dündar Kelloglu en veut pour preuve que des demandes de personnes recherchées par l’État turc ou poursuivis par la justice ont été rejetées.
Le BAMF estimerait que les personnes poursuivies peuvent encore être acquittées par des juridictions supérieures. Dündar Kelloglu précise que certains tribunaux allemands ont conclu que les dissidents en Turquie n’encourent plus des peines aussi longues que par le passé. “C’est la raison pour laquelle le quota d’asile est en baisse”.
Auteur : Elmas Topcu
Source : dw.com
