Paludisme : une bactérie découverte dans l’intestin des moustiques … – Le Monde

De l’eau, du sucre et un petit quelque chose en plus. Voilà ce qui pourrait devenir la nouvelle arme pour compléter l’arsenal de la lutte contre le paludisme. Une maladie qui a touché en 2021, selon les derniers chiffres disponibles de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 247 millions de personnes dans le monde, dont 95 % sur le continent africain, et tué 619 000 personnes.
Ce petit quelque chose en plus a un nom à rallonge : Delftia tsuruhatensis TC1. Découverte par une équipe de chercheurs espagnols, britanniques, burkinabés et américains de l’Ecole de santé publique Johns-Hopkins-Bloomberg à Baltimore, aux Etats-Unis, et du laboratoire britannique GSK, cette bactérie a la propriété d’empêcher le développement à un stade très précoce du parasite Plasmodium falciparum, responsable du paludisme, dans le tube digestif des moustiques.
Les résultats de leurs recherches ont été publiés dans la revue Science le 3 août. « Ce sont nos chercheurs du site de Tres Cantos (TC), en Espagne, qui ont fait la découverte, raconte Janneth Rodrigues, responsable scientifique chez GSK, coautrice de l’étude. On a constaté que la colonie de moustiques de notre insectarium n’était plus capable de maintenir l’infection par P. falciparum, le type de paludisme le plus répandu et le plus mortel notamment en Afrique. » Certains avaient une charge très inférieure de Plasmodium (jusqu’à -75 %), explique l’étude.
Sentinelle
Les chercheurs se sont demandé pourquoi et c’est dans le microbiote du moustique femelle qu’ils ont trouvé la réponse. « D. tsuruhatensis s’est avérée être prédominante dans tous les échantillons examinés, poursuit la chercheuse, et la souche Tres Cantos 1 (TC1) a été désignée responsable de la perte d’infectivité. »
Mieux, ils ont repéré que la bactérie D. tsuruhatensis TC1 produit une petite molécule toxique appelée harmane, bien connue des scientifiques, qui agit comme une sentinelle en inhibant le développement du parasite dans le tube digestif du moustique.
L’harmane agit après que le moustique a ingéré la bactérie, mais elle a également la propriété de traverser la « peau » et le squelette de l’insecte (la cuticule en langage savant). Ce qui ouvre une deuxième perspective, celle d’en faire un produit de contact, qu’on pourrait imaginer pouvoir pulvériser sur des moustiquaires par exemple.
Si les chercheurs n’ont pas encore complètement décrypté comment la toxine parvient à enrayer la croissance de P. falciparum, « c’est une découverte majeure, de celles qui pourraient faire basculer la lutte vers une éradication », estime Pierre Buffet, directeur de l’Institut Pasteur, clinicien en dermatologie infectieuse et médecine tropicale : « C’est enthousiasmant, original comme angle de recherche. Nous sommes là dans le domaine de la lutte biologique qui suscite de vrais espoirs alors que la lutte contre la maladie stagne. »
Boules de coton
La route est encore longue avant de pouvoir commercialiser un produit à base d’harmane ou d’envisager utiliser la bactérie à grande échelle, mais les essais réalisés au Burkina Faso sont prometteurs, expose l’étude. Les conditions climatiques de prolifération de l’anophèle ont été reproduites en milieu confiné au Centre Muraz et à l’Institut de recherche en sciences de la santé (IRSS) de Bobo-Dioulasso, en apportant aux populations de moustiques étudiés l’eau et les nutriments dont ils se nourrissent ainsi que des boules de coton imbibées d’eau, de sucre et de D. tsuruhatensia TC1. Il a suffi d’une seule nuit pour que la bactérie colonise les trois quarts des moustiques.
L’expérience s’est poursuivie en exposant une cohorte de souris à des moustiques porteurs du parasite du paludisme des rongeurs (P. berghei) et de la bactérie et une autre cohorte à des moustiques porteurs seulement de P. berghei. Le résultat est édifiant : seul un tiers des animaux exposés aux moustiques infectés par le paludisme murin et D. tsuruhatensis TC1 avait été contaminé tandis que la seconde cohorte l’était entièrement.
Enfin, dernier point prometteur : les chercheurs ont démontré que non seulement la toxine inhibait le développement du parasite pathogène pour les rongeurs (berghei), mais aussi pour les humains (falciparum), que ce soit en laboratoire ou en extérieur, ce qui fait espérer une efficacité sur les quatre autres Plasmodium dangereux pour l’homme : P. vivax, P. ovale, P. malariae et P. knowlesi.
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« Avant d’envisager une utilisation à grande échelle, ces recherches doivent continuer pour savoir si la bactérie et la toxine peuvent avoir des conséquences sur d’autres organismes, comme les insectes pollinisateurs par exemple, ce qui serait catastrophique », explique Olivier Silvie, directeur de recherche à l’Inserm et numéro deux du Centre d’immunologie et des maladies infectieuses à Paris.
Pas de transmission aux œufs
Même s’il a été démontré que la bactérie D. tsuruhatensis TC1 n’est pathogène
pour l’homme que de façon absolument exceptionnelle, l’expérimentation continue au Burkina Faso pour s’assurer de l’innocuité d’un produit à base d’harmane, un alcaloïde neurotoxique. « Nos recherches montrent que l’harmane joue son rôle inhibiteur à de très faibles concentrations, à des niveaux nanomoléculaires, explique encore Janneth Rodrigues. Des quantités négligeables pour la santé humaine. »
L’harmane est en effet naturellement présente dans de nombreuses plantes, telles que le café par exemple, des aliments, les tissus et les fluides des mammifères et est également stocké dans des organes tels que le foie et le cerveau. « Nous avons mené avec succès des études préliminaires dans la “sphère des moustiques” [insectarium] à l’IRSS de Bobo-Dioulasso qui ont montré que nos résultats de laboratoire pouvaient être transposés sur le terrain. C’est ce qui nous a incités à entreprendre des études approfondies en milieu semi-ouvert en cours en ce moment. »
Une autre piste de recherche reste encore à explorer, anticipe Pierre Buffet, de l’Institut Pasteur : celle d’une modification génétique de la bactérie afin qu’elle devienne transmissible par l’anophèle femelle à sa progéniture, ce qui n’est pas le cas à l’état naturel. « Car sans transmission des femelles à leurs œufs, il faudra sans cesse “nourrir” le moustique avec la bactérie, explique le spécialiste du paludisme. Ce n’est pas impossible à réaliser, mais cela limite la pérennité d’un tel dispositif. Sans parler du coût. » Un autre espoir d’éradication du paludisme qui exigera de lever les doutes sur les conséquences environnementales du recours à un OGM, et les résistances éthiques.